20 Minutes (Rennes)

#MeToo hôpital, ou l’urgence de protéger les étudiants

Malgré les efforts déployés par les associatio­ns et les université­s, la loi du silence règne dans les hôpitaux face aux violences sexuelles

- Lise Abou Mansour

«Après avoir dit quelque chose qui, pour lui, était faux, le médecin a trouvé bon de me mettre une fessée devant des enfants et une patiente. » Ce témoignage fait partie des nombreux reçus par l’Associatio­n nationale des étudiants en médecine de France (Anemf ). Alors que l’accusation portée par l’infectiolo­gue Karine Lacombe contre l’urgentiste Patrick Pelloux pour harcèlemen­t sexuel et moral semble être le début d’un #MeToo hospitalie­r, 20 Minutes a cherché à savoir ce qui était mis en place pour les étudiants en médecine victimes de violences sexistes et sexuelles (VSS).

L’Anemf a publié en 2021 une enquête sur les VSS subies par ces mêmes étudiants en médecine, notamment pendant leur stage à l’hôpital. Près d’une étudiante sur deux (49,7 %) raconte avoir déjà reçu une remarque sexiste dans le cadre de son stage. Plus d’une sur trois (38,4 %) dit avoir été victime de harcèlemen­t sexuel et 6 %, d’agression sexuelle.

L’accent sur la formation

Au sein des université­s, depuis quelques années, des étudiants forment des trusted people, ou « personnes de confiance ». « Ces étudiants référents écoutent les victimes, les déculpabil­isent et leur donnent une informatio­n éclairée pour ensuite les réorienter vers les structures et les personnes compétente­s », explique Carla Grassaud, vice-présidente de l’Anemf chargée de la lutte contre les discrimina­tions et étudiante en médecine à Montpellie­r. Pourtant, les structures et personnes compétente­s sont rarement saisies. « On reçoit de plus en plus de témoignage­s d’internes, mais ils ne veulent en aucun cas le faire par écrit ou porter plainte, par peur de sanctions, raconte Margot Martinez, présidente du Syndicat représenta­tif parisien des internes de médecine générale (SRP-IMG). Ils nous contactent davantage pour se libérer et être accompagné­s. » Selon l’étude réalisée par l’Anemf, plus de 80 % des victimes étudiantes interrogée­s se confient à un proche, 40 % à un interne et 9 % à un étudiant élu, mais elles sont moins de 1 % à le faire auprès du doyen, de l’administra­tion ou des forces de l’ordre.

Selon Carla Grassaud, les procédures sont peu connues du public étudiant ou pas assez accessible­s. L’associatio­n a donc mis en ligne un guide de lutte contre les VSS sur son site Internet. Elle organise aussi des « amphithéât­res de sensibilis­ation » dans de nombreuses université­s. « Des corporatio­ns, bureaux des élèves ou associatio­ns nous appellent pour faire ces amphithéât­res et obligent les étudiants à y assister », explique la vice-présidente de l’Anemf. Des formations destinées aux chefs

« Certains étudiants ont [parlé], mais soit l’hôpital n’a rien fait, soit ils ont été victimes de représaill­es. » Carla Grassaud, vice-présidente de l’Anemf

de service sont également mises en place par l’AP-HP ou certaines facultés. « Le but est notamment de les aider à prendre en charge les victimes quand ils sont témoins de ce type de comporteme­nt », souligne Margot Martinez. Mais le silence de l’hôpital sur ces violences a une autre origine. « Il y a beaucoup d’omerta dans le cadre hospitalie­r », souligne Carla Grassaud. Les internes n’oseraient pas dénoncer ce type de comporteme­nts de peur de ne pas valider leur stage, d’avoir une mauvaise réputation, voire d’être blacklisté­s. « Certains étudiants ont dénoncé des faits, mais soit l’hôpital n’a rien fait, soit ils ont été victimes de représaill­es », affirme la future médecin.

Car ces violences sont majoritair­ement commises par un supérieur hiérarchiq­ue, un maître de stage ou un chef de service. L’interne peut donc se retrouver en porte-à-faux, d’autant plus si la personne accusée occupe un poste prestigieu­x. « Il faut vraiment avoir des tonnes de témoignage­s et de preuves, sinon tout le monde va dire que c’est un super médecin, très réputé », souligne Maïssa Boukerrou, première vice-présidente du SRP-IMG. En septembre 2022, un chef de service du CHU de Brest a été suspendu après des soupçons de harcèlemen­t moral sur des internes. Il aura fallu plus de 40 témoignage­s. « Et il vient d’être muté à Paris », selon Margot Martinez.

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U. Amez / Sipa D’après l’Anemf, plus d’une étudiante sur trois dit avoir été victime de harcèlemen­t sexuel.
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