« Ce modèle est indigne »
Sommes-nous aveuglés par la scintillante Silicon Valley en Californie ? Penseur des technologies du numérique, le philosophe Eric Sadin vient de publier La Silicolonisation du monde (éd. de L’Echappée,17€). Un essai à charge contre la mainmise des géants du Web dans nos vies. Nous sommes tous conscients de l’invasion d’Apple, Google, Facebook, Uber, etc., dans nos vies. Mais vous jugez qu’un tournant s’est opéré… Aujourd’hui, avec la dissémination de capteurs sur nos corps, dans nos univers domestiques, urbains, professionnels, nous entrons dans « l’âge de la mesure de la vie ». Une chemise connectée collecte des données permettant à des applications de nous proposer tel complément alimentaire ou telle séance de yoga. Il se produit un franchissement de seuil : on n’est plus dans la seule logique d’être face à des écrans, sollicités par des bannières publicitaires. Nous passons d’une économie de l’Internet à une industrie de la vie. Faut-il craindre les progrès de l’intelligence artificielle (AI) ? Ce n’est pas la race humaine qui va être éradiquée par l’AI, mais bien la figure humaine dotée de la faculté de jugement et de celle d’agir librement. L’intelligence artificielle est érigée comme un « surmoi » appelée à nous dire en toute occasion la bonne décision à prendre. Par exemple, la Google Car ne nous conduira pas seulement de Paris à Lille, elle nous proposera, en fonction de nos profils, de nous arrêter dans tel restaurant ou de rencontrer telle personne. Les assistants, comme Siri ou Cortana, vont se présenter comme des compagnons familiers et bienveillants, alors qu’ils ne répondent qu’à des intérêts privés. Vous appelez au refus de certains objets connectés. Lesquels en priorité ? Il ne s’agit pas de revenir en arrière. Pour ma part, je refuse les compteurs électriques dits intelligents, appelés à mémoriser nos gestes au sein de nos habitats. Je refuse le biberon connecté conçu pour dire aux parents comment bien incliner le biberon… Nous sommes tous citoyens, mais aussi consommateurs, et nous pouvons, par des décisions simples, mettre en échec ce modèle indigne.