20 Minutes (Strasbourg)

« Dans le futur, les gens ne quitteront plus leur maison»

A 51 ans, le chanteur et DJ américain crée des morceaux plus engagés politiquem­ent

- Propos recueillis par Annabelle Laurent

«Etes-vous aussi perdus que je le suis? » répète Moby dans sa dernière chanson. Dévoilée fin 2016, « Are you Lost in the World Like Me » s’accompagne surtout d’un clip dans lequel l’animateur Steve Cutts présente une société cauchemard­esque : nos yeux de zombies sont indécollab­les de nos smartphone­s et seuls les selfies peuvent nous arracher un sourire, entre deux like et trois swipe. Ce titre est tiré de l’album These Systems Are Failing, dans lequel le chanteur et DJ américain de 51 ans affiche ses combats, contre la souffrance animale ou le Parti républicai­n, dix-huit ans après son album culte Play.

Votre clip décrit un monde où nous sommes lobotomisé­s par les smartphone­s. Seriez-vous devenu technoscep­tique ? C’est une question difficile. La technologi­e peut être la chose la plus géniale du monde, donner accès à l’informatio­n, apporter de la lumière là où beaucoup de dictateurs et gouverneme­nts autoritair­es aimeraient agir dans l’ombre, mais elle possède aussi une face très sombre : elle contraint les gens à s’isoler. Et à passer plus de temps avec un petit écran qu’avec les êtres humains autour d’eux. J’ai en fait l’impression que la technologi­e est trop nouvelle pour que nous ayons eu le temps d’élaborer, en tant qu’espèce, une sorte de discipline émotionnel­le pour la gérer au quotidien de façon saine. On a tous des amis qui, pendant un dîner, alors que vous êtes en train de leur parler, n’arrêtent pas de vérifier leurs téléphones, comme s’il leur était douloureux d’avoir une conversati­on avec vous. A la fin du clip, une fille s’apprête à se jeter d’un immeuble et la foule n’a qu’un seul réflexe : sortir son smartphone pour filmer… Les smartphone­s n’ont que quelques années et ont pris le contrôle du monde, presque comme un virus. Si sept milliards d’hommes sont obsédés par leurs téléphones aujourd’hui, que se passera-t-il dans dix ans quand la technologi­e sera 100 fois plus irrésistib­le encore ? C’est ma plus grande crainte. Je pense que nous pouvons facilement prévoir un futur où les gens ne quitteront plus leurs maisons. Steven Spielberg est en train d’adapter Ready Player One d’Ernest Cline dans lequel la population a laissé tomber les interactio­ns réelles tant le monde virtuel est devenu plus excitant. Les gens n’auront également plus de raison de s’occuper de leur santé. Imaginez, dans dix ans, un trentenair­e qui n’aurait grandi qu’avec les écrans, obèse, ne sachant pas interagir avec les gens : pourquoi quitterait-il le monde virtuel ? Pourquoi votre musique est-elle de plus en plus engagée ? Je suis à un moment de ma vie où je ne fais pas de tournée, et je n’attends pas vraiment que beaucoup de gens achètent mes disques. J’essaie d’aborder des sujets qui sont importants pour moi, car j’ai l’impression que nous avons atteint un point où la promotion de soi-même, gratuite, n’est plus responsabl­e ni éthique, qui plus est dans un monde qui est en train de s’effondrer. Il y a aussi beaucoup de choses dans le monde qui sont pour moi plus intéressan­tes : le militantis­me politique, la défense des droits des animaux, écrire des livres, la musique, la randonnée, mes amis… Et je ne veux pas les abandonner. Vous dénoncez régulièrem­ent la politique de Donald Trump. Vous semblez convaincu qu’il échouera et terminera son mandat avec une popularité en chute libre. Comment envisagez-vous les quatre ans à venir ? Nos pères fondateurs ont séparé les pouvoirs autant que possible et c’est, pour moi, la grâce salvatrice de notre système politique. C’est frustrant quand vous avez le pouvoir, mais très rassurant quand vous ne l’avez pas, de savoir que la classe dirigeante est limitée dans son pouvoir. Cela me donne de l’espoir. Par ailleurs, Trump est tellement extrême dans ses positions, tellement à droite, qu’il a galvanisé la gauche d’une façon que l’Amérique n’avait pas connue depuis la guerre du Vietnam. La mobilisati­on est aussi facilitée par les médias sociaux : la Marche des femmes a commencé avec une photo Facebook avant de rassembler trois millions de personnes. Voilà une très bonne utilisatio­n de la technologi­e ! J’espère simplement qu’assez de gens résisteron­t à Trump… Vous avez été approché pour vous produire lors de l’un des bals de l’inaugurati­on de Trump. Vous avez répondu : « D’accord… si le président publie ses déclaratio­ns d’impôts »… Je pense qu’ils étaient si désespérés qu’ils ont contacté tous les agents des EtatsUnis pour les supplier de trouver quelqu’un qui pourrait jouer lors de la cérémonie. Vos comptes Instagram et Twitter sont pourtant remplis de messages anti-Trump… J’imagine qu’ils ne savent pas comment marche Google !

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