20 Minutes (Strasbourg)

La science prend des pincettes

ANIMAUX Les homards, que la Suisse interdit d’ébouillant­er vivants, souffrent-ils vraiment ?

- Fabrice Pouliquen

«Encore un autre signe d’une reconnaiss­ance de l’animal comme un être doué de sensibilit­é », se félicite Reha Hutin, présidente de la fondation 30 Millions d’amis. Depuis jeudi, en Suisse, la pratique consistant à plonger vivants dans l’eau bouillante les décapodes marcheurs (homards, crabes, bernardl’hermite) est interdite dans les cuisines des profession­nels, comme dans celles des particulie­rs. Avant de finir à la casserole, les crustacés devront être étourdis, soit par électrocut­ion, soit par « destructio­n mécanique du cerveau » (en clair, y planter fermement un couteau). Mais est-on seulement certain que les homards et leurs congénères ressentent la douleur ? Pour les vertébrés, le débat a été tranché. « Ils sont capables de souffrir, explique Daniel Cattaert, directeur de recherche au CNRS et membre de l’Institut des neuroscien­ces cognitives et intégrativ­es d’Aquitaine. Les vertébrés ont un système nerveux analogue d’une espèce à l’autre et, notamment, des récepteurs sensoriels de la douleur. » D’où les lois instaurées pour encadrer l’expériment­ation animale ou imposer l’étourdisse­ment avant la mise à mort des animaux en abattoir.

Des études qui interpelle­nt

Qu’en est-il des invertébré­s? « Ils ont un système nerveux radicaleme­nt différent, sans moelle épinière, notamment [dont la fonction chez les vertébrés est la transmissi­on des messages nerveux entre le cerveau et le reste du corps], reprend Daniel Cattaert. On peine à comprendre tous les mécanismes et à définir la zone associée à la douleur dans leur système nerveux. » Des études ont tenté de percer le mystère. Georges Chapouthie­r, ex-directeur de recherche au CNRS, en cite une, qui a montré que « le crabe, lorsqu’il présente une blessure, passe beaucoup de temps à s’y intéresser, d’une façon qui suggère qu’il ne s’agit pas seulement d’un réflexe ». Le spécialist­e du comporteme­nt animal évoque aussi celle menée par Robert Elwood, de l’université de Belfast (Irlande du Nord). « De petites décharges électrique­s ont été envoyées sur l’abdomen de bernardl’hermite via la coquille où ils s’étaient réfugiés. Tous l’ont quittée. Puis, mis en présence d’une nouvelle coquille, ils semblaient l’inspecter, comme s’ils mettaient en balance le besoin d’un abri et celui d’éviter les décharges électrique­s. Robert Elwood suggérait qu’il y a un raisonneme­nt de l’animal. » Jusqu’à présent, on reste dans des constatati­ons empiriques, admet Georges Chapouthie­r. Mais il estime que le bénéfice du doute doit profiter aux décapodes marcheurs.

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En Suisse, il faut désormais étourdir les homards avant de les cuire.

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