La science prend des pincettes
ANIMAUX Les homards, que la Suisse interdit d’ébouillanter vivants, souffrent-ils vraiment ?
«Encore un autre signe d’une reconnaissance de l’animal comme un être doué de sensibilité », se félicite Reha Hutin, présidente de la fondation 30 Millions d’amis. Depuis jeudi, en Suisse, la pratique consistant à plonger vivants dans l’eau bouillante les décapodes marcheurs (homards, crabes, bernardl’hermite) est interdite dans les cuisines des professionnels, comme dans celles des particuliers. Avant de finir à la casserole, les crustacés devront être étourdis, soit par électrocution, soit par « destruction mécanique du cerveau » (en clair, y planter fermement un couteau). Mais est-on seulement certain que les homards et leurs congénères ressentent la douleur ? Pour les vertébrés, le débat a été tranché. « Ils sont capables de souffrir, explique Daniel Cattaert, directeur de recherche au CNRS et membre de l’Institut des neurosciences cognitives et intégratives d’Aquitaine. Les vertébrés ont un système nerveux analogue d’une espèce à l’autre et, notamment, des récepteurs sensoriels de la douleur. » D’où les lois instaurées pour encadrer l’expérimentation animale ou imposer l’étourdissement avant la mise à mort des animaux en abattoir.
Des études qui interpellent
Qu’en est-il des invertébrés? « Ils ont un système nerveux radicalement différent, sans moelle épinière, notamment [dont la fonction chez les vertébrés est la transmission des messages nerveux entre le cerveau et le reste du corps], reprend Daniel Cattaert. On peine à comprendre tous les mécanismes et à définir la zone associée à la douleur dans leur système nerveux. » Des études ont tenté de percer le mystère. Georges Chapouthier, ex-directeur de recherche au CNRS, en cite une, qui a montré que « le crabe, lorsqu’il présente une blessure, passe beaucoup de temps à s’y intéresser, d’une façon qui suggère qu’il ne s’agit pas seulement d’un réflexe ». Le spécialiste du comportement animal évoque aussi celle menée par Robert Elwood, de l’université de Belfast (Irlande du Nord). « De petites décharges électriques ont été envoyées sur l’abdomen de bernardl’hermite via la coquille où ils s’étaient réfugiés. Tous l’ont quittée. Puis, mis en présence d’une nouvelle coquille, ils semblaient l’inspecter, comme s’ils mettaient en balance le besoin d’un abri et celui d’éviter les décharges électriques. Robert Elwood suggérait qu’il y a un raisonnement de l’animal. » Jusqu’à présent, on reste dans des constatations empiriques, admet Georges Chapouthier. Mais il estime que le bénéfice du doute doit profiter aux décapodes marcheurs.