L’effet de l’euro sur la richesse des Français fait débat
Une étude allemande très contestée affirme que la mise en place de la monnaie unique a fait perdre de l’argent aux Français
Vingt ans après son adoption, l’euro reste un sujet sensible. Les effets économiques de la «monnaie unique» sont toujours âprement discutés, et chaque étude sur le sujet est utilisée comme argument par les «eurosceptiques» ou les « europhiles », suivant ses conclusions. Les derniers travaux publiés il y a quelques jours par un think tank allemand n’ont pas échappé à cette tradition.
Dans cette étude, les chercheurs du centre de politique européenne (CEP) de Fribourg affirment que, sur huit pays de la zone euro étudiés, seulement deux – l’Allemagne et les PaysBas – ont profité de la mise en place de la monnaie unique. Les autres pays, dont la France, auraient été pénalisés par l’euro, qui aurait freiné la croissance de leur produit intérieur brut. Les auteurs estiment que, sans la monnaie unique, la France aurait été plus riche : ils chiffrent la «perte» à environ 56 000 € par personne entre 1999 et 2017. Sans surprise, ces conclusions ont été largement partagées par les partis critiques vis-à-vis de l’Europe, comme le RN ou La France insoumise.
Le curieux modèle australien
Pour parvenir à leurs conclusions, les experts du CEP ont cherché des pays hors de la zone euro dont la croissance était proche des pays étudiés. Ainsi, l’Australie et le Royaume-Uni présentaient, entre 1980 et 1999, une croissance quasi similaire à celle de la France. Les chercheurs ont ensuite comparé l’évolution de ces deux pays « cobayes » à celle de l’Hexagone pour estimer les effets de l’euro. Or, cette méthode est fortement critiquée par de nombreux économistes. «Il y a plusieurs problèmes, explique Alexandre Delaigue, professeur d’économie à l’université de Lille. D’abord, les auteurs sont obligés d’exclure des “cobayes” les pays qui sont très similaires à la France, puisque ce sont aussi des pays de la zone euro. Ils se retrouvent donc à comparer la France avec l’Australie. Et à partir du début des années 2000, l’économie australienne est tirée vers le haut grâce à la Chine, qui a besoin de beaucoup de matières premières.»
Outre cette difficulté de trouver un pays dont l’économie aurait les mêmes caractéristiques que la France, l’étude est aussi critiquée pour sa temporalité assez courte. Malgré ses limites, elle rappelle qu’il y a toujours des déséquilibres au sein même de la zone euro, et que ces derniers sont loin d’être résorbés. « La mise en place du marché unique, avec la libre-circulation du capital et du travail a beaucoup joué, estime David Cayla, économiste à l’université d’Angers et membre des Economistes atterrés. Elle a conduit à un phénomène de polarisation industrielle : l’industrie s’est concentrée dans quelques pays, comme l’Allemagne, au détriment des autres.» Un «rééquilibrage» des forces en zone euro supposerait une meilleure coordination économique entre les Etats-membres.