« Nous serons en réalité les esclaves de la machine»
Le psychiatre Serge Tisseron s’interroge sur notre rapport aux robots dotés de parole
Comment les machines parlantes, chatbots et autres assistants vocaux, vont-ils transformer la société ? L’arrivée de ces robots dotés de parole risque de bouleverser notre rapport aux autres et au monde. Dans L’Emprise insidieuse des machines parlantes (éd. Les Liens qui libèrent), paru mercredi, Serge Tisseron, psychiatre et spécialiste de la question, nous met en garde.
Pourquoi la voix est-elle si déterminante dans notre relation aux machines ?
La voix a toujours été recherchée par les humains comme la preuve d’une présence humaine. Ce sont les phrases : « Est-ce qu’il y a quelqu’un ? » « Qui est là ? » Il suffit d’ajouter la voix à une machine pour que notre relation à cet objet change. Dès qu’il y a la voix, il y a le désir d’interagir, de discuter, de se confier, comme avec un être humain. La tentation, c’est d’intégrer la machine à notre réseau social.
On peut déjà le voir au Japon, où certaines personnes se marient avec des avatars holographiques…
Les objets parlants créent une double révolution anthropologique. C’est la première fois qu’on va interagir avec des objets comme avec les humains et aussi la première fois qu’on va être amenés à prêter à des objets des compétences proches des compétences humaines, donc très supérieures à leurs compétences réelles.
Les rapports humains risquent-ils de s’en trouver modifiés ?
Oui. Plus les gens seront habitués à avoir affaire à une machine qui leur donne raison, qui les écoute, et plus certains risquent de trouver, par comparaison, très frustrante la relation avec d’autres humains. Dès qu’on veut parler de soi à un humain, il vous coupe la parole pour parler de lui. C’est pour cela qu’on a inventé les psychothérapeutes.
Le risque n’est-il pas que l’humain s’habitue à la servitude des machines ?
Beaucoup de gens auront tendance à les traiter comme des esclaves. Mais elles vont aussi nous amener à suivre leurs conseils. C’est la relation inversée. Nous pourrons parler brutalement à la machine, mais elle choisira à notre place un programme, une musique, des informations… Je pourrai croire que la machine est à mes ordres, en réalité, je serai son esclave.