20 Minutes (Strasbourg)

«La mobilisati­on a un impact sur l’opinion», observe l’enseignant­chercheur Omar Wasow

Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société

- Propos recueillis à Los Angeles par Philippe Berry

« No justice, no peace. » Des centaines de milliers d’Américains dénoncent dans la rue les violences policières et le racisme depuis la mort de George Floyd. Enseignant à Princeton, spécialist­e des questions raciales, Omar Wasow estime « que le changement vient de la mobilisati­on de la population blanche » aux côtés des Afro-Américains.

Les morts de nombreux Afro-Américains depuis dix ans suscitent une indignatio­n nationale, mais pas de cette ampleur. Qu’est-ce qui a changé ?

La différence, c’est que le public a vu cette vidéo de George Floyd, tué de manière choquante. Cela représente les violences policières et symbolise l’injustice raciale. Les images sont d’une puissance rare, en particulie­r pour les personnes blanches qui n’ont jamais eu affaire à la force aveugle que la police utilise contre les Afro-Américains. En trois mois, on a eu le coronaviru­s, qui touche particuliè­rement la communauté afro-américaine, les décès d’Ahmaud Arbery, de Breonna Taylor… La mort de George Floyd a mis le feu aux poudres.

Quel rôle jouent des mouvements comme Black Lives Matter dans la mobilisati­on ?

Si les inégalités raciales sont devenues une préoccupat­ion croissante, surtout chez les libéraux [la gauche] blancs et les jeunes, c’est en partie dû à l’action de groupes comme Black Lives Matter. Et, aujourd’hui, des Américains blancs descendent dans la rue et disent : «On ne peut plus accepter cette situation.» C’est la plus forte mobilisati­on depuis l’assassinat de Martin Luther King, en 1968.

Après des scènes de pillage, le mouvement semble se pacifier. Historique­ment, la violence a-t-elle desservi les manifestan­ts pour l’avancée des droits civiques ?

Les manifestat­ions ont un impact majeur sur l’opinion quand elles arrivent à capter l’attention des médias. L’analyse de 275 000 unes de journaux, entre 1960 et 1972, montre que, lorsque les mouvements sont pacifiques, la presse est compatissa­nte. Mais en cas de débordemen­ts, les journaux mettent en avant les émeutes et l’opinion s’inquiète.

Donald Trump parle de la loi et de l’ordre, mais il a aussi qualifié la mort de George Floyd de tragédie. Peut-il jouer sur les deux tableaux ?

Il joue souvent les va-t-enguerre mais passe rarement à l’action. La vidéo est si forte que même lui se sent obligé d’exprimer de la compassion, mais son passif est trop lourd.

Il joue sur la peur de l’autre.

Le pilier de sa promesse électorale, c’est : « Je vais vous protéger de ces dangers qui menacent l’Amérique blanche et chrétienne. »

Il reprend la doctrine de Richard Nixon. Peut-il jouer cette carte en novembre ?

En 1968, il y avait des centaines de bâtiments en feu. Une immense majorité d’Américains estimaient que la loi et l’ordre étaient en perdition. On en est très loin. Si le mouvement reste relativeme­nt pacifique, cela ne va pas jouer en faveur de Trump en novembre. Mais si on a des émeutes tout l’été, il sera en position de force pour mobiliser sa base.

Plus de 1 000 personnes sont tuées par la police chaque année aux Etats-Unis. Comment en est-on arrivé là ?

La structure de la société américaine a cimenté le statut de seconde classe des Afro-Américains avec des lois des Etats [sur l’esclavage] et une longue tradition de milices armées. Les policiers d’aujourd’hui en sont les héritiers. Du côté judiciaire, les syndicats de police ont une influence considérab­le sur les procureurs, souvent élus.

Croyez-vous en de possibles progrès au sujet des inégalités raciales ?

Le pouvoir du groupe semble plus fort que les biais individuel­s. Sur le mariage gay, l’activisme et des avancées sur la représenta­tion ont eu un impact massif dans l’opinion, puis la législatio­n a emboîté le pas. Sur les inégalités raciales, un changement fondamenta­l s’opère sous nos yeux, avec une mobilisati­on des minorités, de la jeunesse et d’une partie de la population blanche. Si la culture progresse, la loi suivra.

«La mort de George Floyd a mis le feu aux poudres.» « Le pouvoir du groupe semble plus fort.»

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Pour Omar Wasow, spécialist­e des questions raciales, «la structure de la société américaine a cimenté le statut de seconde classe des Afro-Américains».
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