20 Minutes (Strasbourg)

Albert Dupontel «s’inclut dans les cons» de son film

Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société

- Propos recueillis par Caroline Vié

Albert Dupontel est un homme passionné qui cache un gros coeur derrière sa grande gueule. Un acteur et un réalisateu­r qui a su imposer, de film en film depuis Bernie en 1996, sa forte personnali­té dans le paysage du cinéma français. A l’occasion de la sortie d’Adieu les cons, 20 Minutes a sondé l’artiste sur son inquiétude de face aux conséquenc­es de la crise sanitaire.

Pensez-vous qu’il soit vraiment judicieux de sortir votre film dans ce contexte ?

En tout cas, je suis content de voir que des gens essaient de braver le Covid-19 pour retourner dans les salles. J’espère juste que les salles ne vont pas devoir fermer complèteme­nt, et pas seulement parce que ça m’arrange et que cela fait l’affaire des exploitant­s de cinéma. Le problème est beaucoup plus large. La culture est notre identité, et nous connaisson­s une vraie perte d’identité en ce moment. Il est important qu’il existe des repères culturels. Il est temps de renouer avec notre culture pendant que les films américains ne sont pas là.

Comment cette situation anxiogène se retrouvet-elle dans votre film, tourné avant la pandémie ?

On n’a pas attendu le Covid-19 pour que les choses aillent mal. Je montre le monde tel que je le vois, en l’enjolivant de mon mieux. Et la société actuelle n’a rien qui puisse me remonter le moral. Cela dit, je reconnais que je fais toujours un peu la même chose comme l’auteur limité et redondant que je suis. La seule chose qui change est que mes films sont de plus en plus sombres. C’est une forme d’impudeur que d’enlever mon nez rouge de clown pour me montrer à nu, sans gag et sans provocatio­n. L’époque a changé depuis Bernie, et moi aussi. J’ai mûri. Les choses qui me faisaient rire ne m’amusent plus.

C’est-à-dire ?

Ce que racontait Terry Gilliam en 1985 dans Brazil, l’un de mes films fondateurs, s’est concrétisé. On est de plus en plus connectés, mais de moins en moins proches des autres. Il est difficile d’aimer et, maintenant, on ne peut même plus se toucher. Je n’aurais jamais pensé que cela irait jusqu’à ce point-là. Pourtant, tout est fou autour de moi. J’affabule dans mon film, j’en rajoute, mais je ne suis pas si loin de la réalité quand je montre, par exemple, comment mon personnage se fait virer de son travail. Je n’ai pas besoin d’inventer ce genre de choses. Elles nous sautent au visage.

Comment voyez-vous le « monde d’après » ?

Je suis assez pessimiste. Je crois à l’intelligen­ce collective, à la bonté comme à l’entraide, mais ce ne sont jamais les gens qui portent ces valeurs qu’on trouve aux commandes. Ceux qui nous dirigent, qu’ils soient politiques ou religieux, nous imposent leurs ambitions et autres intérêts privés. Il va être difficile de se débarrasse­r de ces gens-là, car ils ont tellement noyauté les gouverneme­nts et les administra­tions que je ne vois pas bien comment cela pourra être possible.

Quelles leçons pourrait-on tirer de cette crise ?

La pandémie nous a poussés vers l’essentiel. C’est ce que j’en retiens. Comme une occasion de réfléchir et de cerner mes priorités. J’aimerais que les dirigeants aient le même raisonneme­nt, mais je n’y crois pas. Ils sont trop centrés sur l’économie de marché pour penser à autre chose. L’individu, lui, est conscient qu’il existe d’autres urgences, mais cela ne suffit pas. Le dernier truc qui m’a mis en colère est le retour de pesticides qui tuent les abeilles. On a envie de secouer les dirigeants en leur disant : «On a des canicules à 40 °C tous les étés et le Covid-19. Il vous faut quoi de plus pour voir qu’il est temps de faire quelque chose pour

la planète? »

C’est pour cela que vous criez « Adieu les cons » ?

Je ne porte pas de jugement. Il m’est indispensa­ble d’aimer mes personnage­s. Je commente ce que je vois et je m’inclus dans les cons du titre de mon film. L’important n’est pas qu’on soit con, mais pourquoi on l’est devenu et comment on peut cesser de l’être. C’est cela qui m’intéresse et que je veux continuer d’explorer tant que j’en aurai la possibilit­é.

« On est de moins en moins proches des autres. » « Je m’inclus dans les cons du titre de mon film. »

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S’il avoue être pessimiste pour l’avenir, Albert Dupontel, le réalisateu­r d’« Adieu les cons », garde une foi intacte en la solidarité de la population.
##JEV#118-90-https://tinyurl.com/y5o7m22a##JEV# S’il avoue être pessimiste pour l’avenir, Albert Dupontel, le réalisateu­r d’« Adieu les cons », garde une foi intacte en la solidarité de la population.
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