« Les maladies étaient présentes au temps du paléolithique »
Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société
Le 30 octobre, la France entrait dans son deuxième confinement, sans trop savoir quand elle en sortirait. Une expérience inédite qui ne le serait pas tout à fait, si on regarde loin dans le rétro. « En réalité, l’histoire de l’humanité pourrait être, malgré les apparences de la mondialisation, celle de son confinement progressif, depuis le nomadisme des débuts paléolithiques jusqu’aux concentrations urbaines actuelles », écrit le préhistorien Jean-Paul Demoule dans Pré-histoires du confinement (éd. Gallimard,
« Tract de crise »).
Pouvez-vous détailler cette notion de « confinement progressif » ?
Si on reprend l’histoire de l’humanité, sur le long terme, il y a une espèce de logique du confinement. Il y a une loi assez banale chez l’ensemble des êtres vivants qui est celle du moindre effort. Plus vous bougez, plus vous consommez de l’énergie. Il y a environ douze mille ans, au sortir de la dernière période de glaciation, qui a duré un peu plus de cent mille ans, dans différents points du globe, isolés les uns des autres mais exactement au même moment, des groupes de chasseurs-cueilleurs vont commencer à inventer l’agriculture et l’élevage. Mais cela signifie que vous commencez à vous confiner en partie. Vous construisez des maisons en dur pour qu’elles résistent plus longtemps que les abris temporaires des nomades. Vous êtes dans des villages sédentaires et vous commencez à ne plus faire que quelques kilomètres par jour pour aller cultiver vos champs, nourrir vos animaux, les traire...
Ces regroupements de populations ont-ils favorisé les épidémies ?
Les maladies ont toujours existé, on en a la preuve grâce aux traces sur les squelettes. Elles étaient présentes chez les chasseurs-cueilleurs, au temps du paléolithique. Mais ils vivaient dans des groupes nomades de 20-30 personnes, sur une planète peuplée de un à deux millions de personnes. Donc les risques de contagions étaient faibles. Or, à partir du moment où l’être humain se confine dans des villages où il vit en promiscuité avec des animaux domestiques qui peuvent être vecteurs de zoonoses – des maladies transmissibles de l’animal à l’homme –, les épidémies se développent. Sans compter les maladies transmises par les animaux commensaux, comme les rats ou les pigeons. La première épidémie dont nous avons une trace remonte au Ve siècle avant Jésus-Christ. Puis, le développement de centres urbains est allé de pair avec celui des échanges commerciaux. C’est comme ça qu’un navire rempli d’étoffes infestées du bacille de la peste a accosté en 1720 à Marseille, où la maladie a ensuite décimé la moitié de la population, malgré un confinement sévère de la région.
Existe-t-il encore des sociétés non confinées ?
Les éleveurs de rennes dans le Grand Nord, les Touaregs ou assimilés dans la basse région du Sahara, les nomades dans les steppes mongoles…
Mais ce sont dans des régions où l’agriculture est beaucoup plus difficile. Les chasseurs-cueilleurs, il n’y en a pratiquement plus. Un petit peu les Bochimans du désert de Kalahari, en Afrique du Sud. Mais, maintenant, ce sont quasiment des curiosités touristiques. Il y a aussi la fameuse île indienne d’Andaman-et-Nicobar, où il y a encore quelques chasseurs-cueilleurs qui reçoivent ceux qui y débarquent par des flèches.
Nos sociétés sont confinées sans vraiment le savoir…
Le tourisme, a priori, s’oppose à ce confinement progressif. Mais, avec la réalité virtuelle qui se perfectionne, il est évident qu’on pourra, à l’avenir, voyager depuis son fauteuil en ayant une perception complète des volumes, des odeurs... De même, dans les salles de sport, vous êtes dans une pièce où vous faites du vélo, de l’escalade, du rameur, vous pouvez même faire ça chez vous, si vous avez un peu de place. Dans le domaine des services, le télétravail se développe et ça coûte moins cher à tout le monde. Ce qui est rassurant, quand même, c’est que, souvent, rien ne vaut le contact humain pour un certain nombre d’activités professionnelles.
« La première épidémie remonte au ve siècle avant Jésus-Christ. »
« A l’avenir, on pourra voyager depuis son fauteuil. »