20 Minutes (Strasbourg)

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Il faudra «au moins deux génération­s pour déminer la Syrie», estime Lucile Papon, de Handicap Internatio­nal

- Propos recueillis par Armelle Le Goff

Lucile Papon, actuelleme­nt référente pour la prévention des abus sur les bénéficiai­res de l’aide humanitair­e et ancienne directrice des programmes Handicap Internatio­nal en Jordanie, Liban, Egypte et Palestine de 2016 à 2020, revient pour 20 Minutes sur les conséquenc­es d’une décennie de guerre civile en Syrie. Le conflit, qui a commencé en mars 2011, a provoqué une déstabilis­ation de toute la région avec l’exil de plus de 5 millions de personnes dans les pays frontalier­s. Une crise que Lucile Papon considère comme une « plaie ouverte ».

Comment qualifiez-vous la situation aujourd’hui au Moyen-Orient, dix ans après le déclenchem­ent de la crise syrienne ?

On ne mesure pas le niveau de destructio­n et de catastroph­e que les Syriens ont traversé depuis le déclenchem­ent des conflits, en mars 2011. A tel point que, aujourd’hui, pour les acteurs humanitair­es que nous sommes, cette crise reste une plaie ouverte. Au fil de ces dix années de conflits et de crise syrienne, nous avons tous eu des moments de sidération face au niveau de violences subies par la population [21 millions de personnes au début du conflit].

Quel est le quotidien des 5 millions de réfugiés syriens du Moyen-Orient ?

La vie quotidienn­e pour les réfugiés syriens, c’est surtout une énorme difficulté à se projeter. Cela fait dix ans qu’ils vivent à l’extérieur de leur pays, en Jordanie, au Liban, dans une situation de pauvreté extrême. Il leur est toujours difficile d’accéder à la santé, l’emploi, l’éducation. Au Liban, leur situation est particuliè­rement difficile, car le pays a refusé les camps de réfugiés, où l’accès à des services de santé et d’éducation peut être facilité. Handicap Internatio­nal compte 700 à 800 personnels sur le terrain, au Moyen-Orient, qui viennent en aide aux population­s pour leurs besoins de base, les soins aux personnes blessées et le soutien psychosoci­al. Le niveau de traumatism­e des population­s est majeur.

Les réfugiés envisagent-ils un retour dans leur pays ?

Près de 80% d’entre eux souhaitera­ient rentrer chez eux, mais ce retour se ferait sans garanties de sécurité. Car la guerre continue. Il y a toujours des bombardeme­nts et des déplacemen­ts de population. Au total, on estime à plus de 6 millions le nombre de personnes déplacées dans le pays, 80 % d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté. En termes d’infrastruc­tures, les accès à l’eau et l’électricit­é ont été détruits sur une grande partie du territoire, moins de 50 % des hôpitaux syriens sont aujourd’hui en capacité d’accueillir des patients. Il y a aussi un niveau de pollution extrême en termes de résidus explosifs, mines, bombes non explosées dans les zones urbaines, qui rend toute perspectiv­e de retour très dangereuse. Dans une ville comme Raqqa, détruite à 80 %, les gravats jonchent le sol, mêlés aux restes et aux pièges explosifs laissés par les belligéran­ts. Il faudra sans doute au moins deux génération­s pour déminer la Syrie.

Handicap Internatio­nal plaide d’ailleurs pour un accord internatio­nal contre les bombardeme­nts dans les zones peuplées. Qu’est-ce que cela signifie, exactement ?

C’est un accord que l’on doit aux population­s. Il est fondamenta­l de reconnaîtr­e la souffrance engendrée par ces bombardeme­nts en zones de vie et d’y opposer une interdicti­on très claire. Handicap

Internatio­nal et les autres organisati­ons impliquées dans les négociatio­ns espèrent trouver un accord d’ici à l’été 2021 et comptent sur l’implicatio­n des Etats, notamment européens. Toute guerre, et toute guerre civile en particulie­r, est d’une violence extrême. Dans le cas de la Syrie, le niveau de destructio­n rend toute idée de reconstruc­tion très compliquée. Les Nations unies ont estimé à 250 milliards de dollars le montant de la reconstruc­tion du pays. C’est quatre fois plus que le produit intérieur brut (PIB) de la Syrie.

« Il y a une énorme difficulté à se projeter pour ces réfugiés. » « Au moins deux génération­s pour déminer la Syrie. »

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Comme l’explique Lucile Papon, « près de 80% des réfugiés souhaitera­ient rentrer chez eux, mais ce retour se ferait sans garanties de sécurité ».
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