Il est www, le bonheur ?
Faut-il vraiment regretter que notre monde soit hyperconnecté ? Une anthropologue du numérique, au contraire, y voit des sources de plaisir.
On dort moins, et moins bien. Notre capacité de concentration décroît. Tout serait la faute des écrans et des réseaux sociaux… Pamela Pavliscak, une consultante et chercheuse américaine qui se décrit comme une « anthropologue du numérique », tient un discours plus optimiste sur notre rapport à la technologie. Qu’est-ce qu’une anthropologue du numérique ? Je demande à des gens de tenir des sortes de journaux intimes en ligne. Ils notent ce qui leur procure ou non de la satisfaction sur les réseaux sociaux et dans leur vie connectée. Plusieurs sources de bien-être dans la vie numérique se dégagent : la créativité (créer une playlist, écrire une critique sur Amazon), le fait de participer au bien commun (financer un projet de crowdfunding, signer une pétition…), la construction d’interactions qui relèvent de l’intime aussi. Ces sources de bien-être ne sontelles pas écrasées par le sentiment d’être « accro » à son smartphone ? Les réseaux sociaux ont été créés pour maximiser l’engagement, qui va déterminer la pub, donc la monétisation. C’est pour cela que les gens sentent qu’ils ne contrôlent plus rien. Ils ne manquent pas de volonté, celle-ci a été réduite à néant par le design. Il faut se demander quels sont les autres objectifs : quel type de relation tel ou tel site vous permet-il de nouer ? Vous partagez le constat de Tristan Harris, l’ex-ingénieur de Google qui appelle le milieu à la responsabilité. Je suis d’accord avec lui sur l’essentiel. Mais je ne pense pas qu’il existe de mauvaises fonctionnalités en ellesmêmes. Tout dépend des usages. Les gens sont créatifs, intelligents, drôles et bizarres. Ils font des choses que l’on n’anticipe pas. Nos interactions virtuelles ne viennent-elles pas prendre le dessus au point de nous faire éviter les conversations physiques ? Les conversations en face à face sont très importantes, mais nous avons des interactions riches, épanouissantes, profondes dans nos vies en ligne. Le virtuel n’enlève rien, il ajoute une dimension. Vous ne croyez pas en l’idée de détox numérique ? Cela peut vous apaiser, mais on ne peut pas revenir trente ans en arrière. Je suis convaincue qu’il faut avancer avec la technologie, et non contre elle. La question de notre rapport intime à la technologie ne peut que s’intensifier avec l’arrivée massive des assistants personnels… Certains pensent qu’avec la disparition progressive des écrans et l’arrivée des assistants à commande vocale, nous serons moins scotchés à nos téléphones et tout sera résolu. J’en doute. Nous aurons la même approche de la technologie. Pire, les gens pourraient s’attacher aux robots, aux assistants personnels comme Siri ou Alexa. Il faut que cette réflexion sur le bien-être et la technologie prenne de l’ampleur. Nous avons encore beaucoup de choses à apprendre. Par exemple, comment trouver une technologie qui amplifie notre humanité? Pour tous ceux qui travaillent dans le secteur aujourd’hui, c’est la question à approfondir.
« Nous avons des interactions riches, épanouissantes, profondes dans nos vies en ligne. »