Deux ans après, Molenbeek tente de changer d’ère
La ville où a été arrêté le djihadiste est en pleine mutation
«L e vernissage devait avoir lieu le 22 mars 2016. Mais les attentats dans le métro de Bruxelles, puis à l’aéroport, nous ont décidés à annuler. On ne savait même plus si on devait ouvrir. » Presque deux ans après, Raphaël Cruyt reçoit dans la cafétéria de son Millennium Iconoclast Museum of Arts (Mima), qui a pu finalement voir le jour. « La mobilisation du public a été très forte, souligne le galeriste de 44 ans. Je crois qu’on a été perçu comme un symbole de la renaissance de Molenbeek. » Cette commune séparée de Bruxelles par quelques minutes de marche seulement n’a en effet pas attendu l’arrestation entre ses murs de Salah Abdeslam (seul membre encore en vie des attentats du 13-Novembre actuellement jugé dans la capitale belge), pour pâtir d’une image négative.
« Brooklyn y a vingt ans »
Parsemé de friches industrielles, le quartier du canal, où Raphaël Cruyt a installé le Mima, était « un quartier ouvrier. C’est d’ici que partaient les grèves, rappelle le galeriste. L’idée que le chenal servirait de séparation entre une partie de la population qui menace l’autre est restée et s’est renforcée après les attentats. » Pourtant, les Bruxellois qui tentent la traversée du canal pour s’installer dans la commune surnommée « la capitale du djihadisme » seraient de plus en plus nombreux. Attirés par des loyers accessibles et un fort dynamisme culturel et entrepreneurial. « J’ai rencontré des gens du quartier, et ça m’a rappelé le 18e arrondissement de Paris, où j’ai habité », témoigne Hanna Bronnier. Diplômée de Sciences Po et exstagiaire à la Commission européenne, la jeune femme a tout quitté pour ouvrir avec son associé un café et espace de coworking. Lancé en septembre 2015, Le Phare du Kanaal emploie désormais cinq personnes et revendique une cuisine bio et locale. Avec un revenu annuel de 11 000 € net par ménage à Molenbeek, soit l’un des plus faibles de Belgique, le lieu, souvent qualifié de bobo, détonne. Symbole plus puissant encore de cette transition, le Brass’art, un café associatif installé au pied de l’immeuble de la famille Abdeslam. Jusqu’où Molenbeek, et ses 4 jeunes sur 10 au chômage, opérerat-elle sa mue? Certains oiseaux de mauvais augure prévoient une gentrification (embourgoisement urbain) de la commune. « Les nouvelles populations qui s’installent ici ne chassent pas les anciennes, assure Karim Majoros, élu écolo et échevin de Molenbeek chargé du logement. Il y a beaucoup de propriétaires et on fait tout pour lutter contre la spéculation immobilière. » Raphaël Cruyt, lui, garde à l’esprit ce que lui a glissé un artiste new-yorkais qu’il a exposé : « Mais en fait, ici, c’est Brooklyn y a vingt ans ! »