Les délinquants s’amendent en travaillant gratuitement
Le parquet propose parfois d’éviter le procès en travaillant à l’oeil
Plutôt que de retourner en prison, « où on apprend à faire des mauvaises choses » , Felipe a nettoyé les dalles et les bassins de la piscine municipale de Ramonville, puis transporté des tables et des chaises pour un groupe de malentendants. Il a fait un tas d’autres choses en ce mois de juin, comme un agent municipal ordinaire. Sauf qu’il n’était pas payé. Ces 60 heures de « travail non rémunéré » (TNR) étaient le prix à payer pour s’être baladé avec un puissant taser qu’il n’avait pas le droit de posséder.
Près de 71 % de « réussite »
Contrairement aux travaux d’intérêt général (TIG), le TNR évite le procès. Il est une « sanction » et pas une peine. Il figure discrètement depuis 2007 dans le Code pénal, mais depuis plus d’un an, le parquet de Toulouse a décidé de l’expérimenter à une échelle inédite. « La méthode n’a rien de révolutionnaire mais procède d’une philosophie […] qui tient au rapport au temps et à la portée de notre voix », explique Pierre-Yves Couilleau, le procureur de la République. Il estime en effet que les TIG exécutés – ou pas – trois ans après les faits « ruinent la parole de la Justice ».
Tandis qu’avec le TNR, les choses vont très vite. Théoriquement, le délai est d’un mois maximum entre la com- mission des faits et l’exécution de la sanction. Pour Felipe, il ne s’est écoulé qu’une semaine entre son interpellation par la brigade anticriminalité et son déploiement dans les équipes ramonvilloises. « Je l’ai pris comme une deuxième chance et ça m’a évité l’humiliation d’un procès », confie le jeune de 24 ans aux mèches décolorées. Le fait de ne pas retourner en prison lui a aussi permis de continuer à veiller sur sa mère, veuve depuis peu.
Tous les bénéficiaires du TNR n’ont pas comme lui un casier. Il y a aussi « des délinquants primaires qui n’ont jamais fait parler d’eux et ont soudain trébuché », précise le procureur. Mais aucun dealer et aucun auteur de violence physique.
Depuis février 2017, 262 « TNR » sont passés par les services de Ramonville, du Crous, de Toulouse Métropole où au Sicoval. Le « taux de réussite » de cette expérience a été de 65 % en 2017. Il est de 71 % pour l’instant en 2018, ce qui signifie que plus des deux-tiers des bénéficiaires ont exécuté leur sanction et n’ont pas récidivé. Les autres sont repartis dans le circuit normal et ont comparu devant le tribunal.
Dans leurs pays, ils se destinaient à devenir avocat ou enseignant, certains étaient même déjà en poste. Arrivés à Toulouse après avoir quitté leur patrie, parfois du jour au lendemain, des Syriens, mais aussi des Iraniens, se sont retrouvés à devoir repartir à zéro, ne comprenant pas un mot de français. Pour les aider à s’intégrer, l’Université fédérale de Toulouse et la région Occitanie ont lancé il y a un an le Dispositif langues accueil migrants (Dilami) qui propose à la fois cours de français, une éducation à la citoyenneté et un accompagnement. En un an, 120 réfugiés ou demandeurs d’asile, dont près de 60 % étaient titulaires au minimum d’une licence, sont retournés sur les bancs de l’université. A l’occasion d’un premier bilan dressé lundi, les bénéficiaires ont loué cette formation qui leur a permis de découvrir la culture de leur pays d’adoption. « Pour nous, cela a été comme un lac dans le désert. J’ai gagné en confiance », explique Kemal, un ingénieur turc, qui travaille aujourd’hui chez un soustraitant d’Airbus.