20 Minutes (Toulouse)

D’après une (longue) histoire vraie

Pour des chercheuse­s, le mouvement est l’aboutissem­ent d’un long chemin

- Benjamin Chapon

Cataclysme, tremblemen­t de terre, raz- de- marée… Le mouvement #MeToo, consécutif à l’affaire Weinstein, a souvent été décrit à l’aide de métaphores de catastroph­e naturelle, comme pour dépeindre un événement spontané et imprévisib­le. Plusieurs chercheuse­s, spécialist­es de l’histoire des femmes et du féminisme, estiment au contraire que # MeToo est l’aboutissem­ent d’un long chemin.

Parmi elles, Sylvie Steinberg, qui a dirigé l’ouvrage Une histoire des sexualités (éd. PUF) : « Le féminisme est présenté comme un mouvement récent. Ce manque de mémoire est un problème. Nous ne sommes pas dans l’année zéro de la réflexion sur le harcèlemen­t. » Pour Bibia Pavard, historienn­e spécialisé­e en histoire des femmes et du genre, « #MeToo s’intègre au sein de la longue histoire de la lutte féministe contre les violences, notamment sexuelles. » Mais elle constate également que le mouvement s’inscrit « dans le renouveau du féminisme actuel. Depuis un peu moins de dix ans a été créé le féminisme de hashtag qui vise à donner la parole à des femmes ordinaires. Et celles-ci racontent leurs expérience­s des processus de domination. # MeToo a émergé dans ce contexte, et cela explique son ampleur. » Pour Sylvie Steinberg, « # MeToo s’inscrit dans une continuité de la prise en considérat­ion du point de vue des femmes dans la société depuis plus de quarante ans, et une prise en compte des violences faites aux femmes. » L’historienn­e reconnaît cependant que « ce qui a été spectacula­ire et nouveau avec #MeToo, c’est la rapidité, les moyens médiatique­s utilisés et le caractère mondial de la mobilisati­on. » Replacer #MeToo dans l’histoire des femmes et du féminisme permet aux historienn­es de comprendre le contrecoup auquel on peut s’attendre après un moment de mobilisati­on. Sylvie Steinberg en cite au moins deux : « Après la Révolution française, qui a vu l’émergence de figures politiques féminines, la rédaction du Code civil a été très défavorabl­e aux femmes. Et les années 1930, avec le fascisme, le nazisme et les régimes autoritair­es, ont marqué un retour en arrière par rapport au début du XXe siècle, qui avait vu l’émergence de la psychanaly­se et du féminisme. »

Bibia Pavard a quant à elle constaté que le contrecoup est « toujours concomitan­t aux mouvements féministes. Dès le début de #MeToo, des forces d’opposition se sont exprimées. Le mouvement a ainsi été assimilé à de la délation par des personnes qui voulaient le discrédite­r. On a aussi beaucoup entendu les craintes que #MeToo mette fin à une certaine “tranquilli­té” des rapports de séduction. Les mouvements féministes sont souvent décrits comme un danger pour les fondements de la société par les partisans d’une vision traditionn­elle des rôles de genre. » Par rapport à de précédents mouvements féministes, la nature particuliè­re de # MeToo a provoqué de massifs cyberharcè­lements. « A chaque fois qu’une femme s’exprime en ligne, elle s’expose à une avalanche d’insultes et de menaces par des personnes qui utilisent pour cela la notoriété du hashtag # MeToo, constate Bibia Pavard. Ce n’est pas encore très étudié, mais c’est un enjeu majeur. » Sylvie Steinberg, elle, préfère « s’interdire de lire les commentair­es. La libération de la parole, c’est aussi la libération de la connerie. »

« Ce manque de mémoire est un problème. » Sylvie Steinberg, auteure d’Une histoire des sexualités

« Les mouvements féministes sont souvent décrits comme un danger. » Bibia Pavard, historienn­e

 ??  ?? Des manifestan­tes solidaires de #MeToo à Paris, le 27 octobre 2017. « Le féminisme de hashtag donne la parole à des femmes ordinaires », explique Bibia Pavard.
Des manifestan­tes solidaires de #MeToo à Paris, le 27 octobre 2017. « Le féminisme de hashtag donne la parole à des femmes ordinaires », explique Bibia Pavard.

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