« Google est dans une situation de monopole»
L’avocate Zoé Vilain analyse le bras de fer entre le géant et la presse sur les « droits voisins »
La loi qui transpose la directive européenne sur le droit d’auteur sera appliquée à partir de ce jeudi. Elle instaure un «droit voisin» et oblige les agrégateurs d’information, en particulier Google News, à rémunérer les éditeurs de presse, dont 20 Minutes. Mais Google a présenté fin septembre de nouvelles règles : les éditeurs devront accepter de ne pas être rémunérés sur des extraits de leur production, les « snippets ». Sans quoi, extraits et vignettes ne seront plus affichés dans les résultats des recherches, un simple lien renverrait vers le site. Dans une tribune dont 20 Minutes est signataire, des journalistes et des personnalités des médias et de la culture dénoncent cette stratégie. Me Zoé Vilain, spécialiste en technologies de l’information, explique que le contournement de la loi par Google était inévitable.
Est-il surprenant que Google ait contourné la loi ?
Non, une directive comme celle-là est très simple à contourner. Sa transposition dans la loi française dit qu’il faut rémunérer si on cite l’article. Il est évident que Google peut dire : « OK, on coupe tout, on arrête de vous citer. » Google est dans une situation de monopole, rien ne l’oblige à citer des articles dans Google News. Une solution aurait été que la directive interdise les licences à titre gratuit comme celle que Google fait signer aux éditeurs de presse. Mais cette directive touche d’autres plateformes, et une telle mesure serait compliquée pour les petits acteurs du Net.
Que peuvent faire les éditeurs de presse face à Google ?
Je pense qu’une action possible serait d’indiquer que Google profite de sa situation de monopole pour imposer ses propres exemples [l’autorité de la concurrence a ouvert une enquête exploratoire à ce sujet début octobre]. Il est normal que les éditeurs de presse demandent des revenus en plus. Mais j’imagine que la baisse de leurs revenus serait conséquente s’ils perdaient le trafic venant de Google News. La seule solution pour eux, c’est le regroupement : tous les éditeurs doivent se mettre d’accord pour dire non à Google. Mais je ne vois pas comment c’est possible. D’autant que Google a déjà prouvé qu’il pouvait fermer Google News dans un pays, comme il l’a fait en Espagne [en 2014 face à une loi similaire].
Cette affaire ne pose-t-elle pas des questions sur la liberté de la presse ?
C’est l’angle le plus important de cette affaire. Quelle liberté la presse peutelle avoir si elle est dépendante d’un acteur privé ? Ici, il n’y a pas eu de favoritisme, Google allait supprimer les « snippets » pour tous les médias qui ne cédaient pas leurs droits. Mais il aurait pu décider de privilégier un média sur un autre. Il est dommage que cette question n’ait pas été prise en compte il y a deux ans, lors des débats sur la directive.