«La politique a évité le jaune pour sa symbolique négative»
Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société
Rattrapé par l’actualité. Il y a un an, au commencement du mouvement des «gilets jaunes», l’historien Michel Pastoureau, grand spécialiste de la symbolique des couleurs, rédigeait les dernières lignes de son ouvrage Jaune, histoire d’une couleur (Seuil, paru en octobre). Une couleur qui reste mal-aimée.
A quand remontent les premières traces du jaune dans nos sociétés ?
On retrouve le pigment ocre jaune, tiré des terres argileuses naturelles, sur les murs des grottes du Paléolithique [à partir de 3 millions d’années av. J.-C.]. Visuellement, ce sont les plus anciennes traces humaines.
A-t-il déjà alors une signification?
Dans les sociétés anciennes, le jaune est bienveillant, car c’est le soleil, la chaleur, la prospérité et les produits comme les céréales, le miel, la cire. Il est ensuite présent dans le quotidien des Romains et des Grecs de l’antiquité. Le jaune a alors bonne image.
Pour expliquer cette image « bénéfique » du jaune, vous évoquez aussi l’importance des cultes solaires et des mythologies de l’or…
Il faut attendre le néolithique
[à partir de 10000 av. J.-C.] pour que les sociétés européennes, proche-orientales ou égyptiennes s’y intéressent. L’histoire de l’or et du jaune vont se confondre. Ce métal suscite la convoitise, toutes sortes de mythes et de légendes l’accompagnent. On a plusieurs histoires de héros en quête de l’or, comme Jason et sa toison, les pommes d’or du jardin des Hespérides (l’un des travaux d’hercule), etc.
Vous écrivez que, au Moyen Age, le jaune a une «symbolique ambivalente»…
L’héraldique [la connaissance des armoiries] a joué un rôle important dans l’organisation symbolique des couleurs. Par la couleur des vêtements ou des armes, on sait si on a affaire à un bon ou à un mauvais chevalier. Quand le jaune est pris en bonne part, il a la symbolique de l’or, de la beauté et de l’amour aussi, à travers les cheveux blonds dans les romans de chevalerie. Quand il est pris en mauvaise part, il exprime la jalousie, la maladie – c’est la couleur de la bile, de l’urine.
La reconnaissance du jaune comme couleur primaire au XVIIE siècle n’a pas changé la donne?
Non. Le grand changement intervient au milieu du XIXE siècle, avec l’invention du tube de peinture. Les impressionnistes vont aller en plein air, éclaircir leurs tons et avoir un rapport nouveau à la lumière, ce qui va bénéficier au jaune. A leur suite, les postimpressionnistes et les avant-gardistes revendiquent des couleurs vives. Gauguin et Van Gogh sont deux peintres du jaune, comme les nabis et les fauves. Le deuxième tournant arrive plus tard sur les terrains de sport : on a besoin de distinguer les compétiteurs avec différentes couleurs. Mais c’est surtout le maillot jaune, inventé lors du Tour de France 1919, qui lui donne un petit coup de fouet.
Que vous inspire l’irruption du jaune dans l’actualité avec la mobilisation des «gilets jaunes»?
Le mouvement est parti d’une histoire de prix du carburant. Il était donc logique d’avoir un symbole de la voiture et il fallait aussi être vu lors des manifestations. La signalétique du Code de la route l’utilise d’ailleurs pour ça. Une chose m’a amusé lors de la présidentielle, puis des législatives : les infographistes utilisaient le jaune pour les courbes ou les camemberts des résultats d’emmanuel Macron, car toutes les autres couleurs étaient déjà prises. Je me suis dit : «C’est nouveau, est-ce que
le jaune ne va pas lui nuire?» (rires).
Pourquoi le jaune n’est-il pas utilisé aujourd’hui en politique?
La politique a évité le jaune pour sa symbolique négative. Comment faire campagne avec la couleur du traître ? Depuis deux siècles, les partis ne l’ont donc pratiquement pas utilisé, à part le parti libéral-démocrate allemand (FDP). Récemment, en Italie, le Mouvement 5 étoiles a choisi le jaune, car il se voulait en rejet du système politique, comme les «gilets jaunes». Ces exemples feront-ils tache d’huile en politique? Difficile à savoir aujourd’hui.
«La couleur jaune exprime la maladie, la bile, l’urine.»