«Je ne veux plus écrire mes peines d’amour »
Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société
Fin août, aux Folies Bergère (Paris, 9e), Julien Doré nous attendait. Pas sur scène, mais dans la salle, comme pour mieux contempler ce lieu mythique qui, à l’instar de tant d’autres, attend désespérément le retour des foules. Le chanteur de 38 ans nous y a parlé de son cinquième album, aimée (lire
l’encadré), mais aussi de ce que traverse le monde du spectacle et de sa préoccupation pour le climat.
Vous vouliez que cette interview se tienne ici. Pourquoi ?
C’est un décor que j’ai hâte de retrouver, de revoir vivre. Les salles n’attendent que le retour des spectateurs, qu’ils viennent injecter des pulsions de vie, de l’énergie. Je pense aussi aux milliers de techniciens qui attendent de pouvoir retravailler.
Plusieurs artistes, comme Clara Luciani, ont ouvertement exprimé leurs inquiétudes et demandé, notamment à la ministre de la Culture, d’agir…
J’ai signé deux pétitions concernant l’inquiétude du monde du spectacle et le besoin d’obtenir des réponses du gouvernement. Je ne comprends pas qu’un festival d’été ne puisse pas avoir lieu, contrairement à un spectacle en plein air avec des volatiles...
Vous êtes prêt à chanter devant un public masqué?
Oui. Si c’est ça les spectacles de demain, alors ce sera ça. L’essentiel, c’est de chanter à nouveau et que le public puisse venir nous voir. Je ne suis pas scientifique, je n’ai pas les réponses. Si les gens doivent porter un masque, c’est surtout à eux qu’il faudra demander s’ils parviennent quand même à ressentir la musique.
La Fièvre
Pourquoi avez-vous choisi pour faire votre retour?
Cette chanson exprime un dérèglement global du monde, une idée de l’infini de la bêtise humaine à tous niveaux. Quand l’absurdité est devenue le quotidien des grands décideurs de ce monde, cela peut donner l’impression de vivre en permanence dans les news du Gorafi. Sauf que ce sont de vraies infos. Le dérèglement du monde m’inquiète. Dans le clip de La Fièvre, la planète Terre s’humanise et, ellemême, abandonne, se laisse aller, finit par faire comme tout le monde. Je pensais que cette mise en image-là était un symbole puissant.
C’est la première fois que vous faites passer un tel message…
Dans cette chanson, dès la première phrase, j’annonce que je ne veux plus écrire mes peines d’amour, mais dire d’autres choses. J’ai pris le temps pour faire cet album. J’ai disparu deux ans et demi de toute interview et de toute lumière artificielle sur ma gueule. Le deuxième message lui aussi est important, celui de Barracuda II. Cette chanson au piano est l’une des plus importantes de mon disque. Dans le clip, je me retrouve devant un château qui pourrait être un lieu de festival d’été, comme le théâtre antique de Fourvière [à Lyon] ou Carcassonne. Je réinstalle les sièges là où la végétation a tout envahi. Des enfants sont présents, ce sont les spectateurs de ces concerts de demain.
Le thème de l’urgence climatique revient dans plusieurs titres de l’album : le sujet semble vous préoccuper énormément…
La planète commence à exprimer d’immenses urgences. Par endroits, il est déjà trop tard. Il n’y a pas besoin d’être scientifique pour constater que ces dérèglements ont un impact permanent, on le voit chaque jour aux infos : la montée des eaux, les déplacements des peuples… Ce n’est
« Je ne veux plus écrire mes peines d’amour. »
« La planète exprime d’immenses urgences. »
pas un album qui donne des leçons sur comment trier ses déchets ou ne pas prendre sa voiture. Je parle aussi de l’enfance, un pilier qui porte les espoirs de demain.
Certaines chansons donnent l’impression que vous vous adressez à votre hypothétique enfant. Et ces morceaux sont réunis dans le giron d’un album qui porte le prénom de votre grand-mère Aimée…
C’est le prénom de ma grand-mère, mais aussi de ma mère. C’est une transmission globale, une boucle générationnelle. J’ai trouvé le titre pendant le confinement, parce que je n’ai pas pu voir ma grand-mère. Un matin, j’ai dit aux personnes qui étaient avec moi : “L’album va s’appeler aimée”. La réaction, c’était : “Aimer, mouais, ok.” J’ai expliqué que c’était “aimée” avec “ée” à la fin. Soudainement, la personnification de ce mot conjugué, renvoyant à ce qui peut être aimé, trouvait un sens. J’avais trouvé l’enveloppe charnelle, de tendresse, de transmission qui venait achever ce disque.