20 Minutes (Toulouse)

«Je ne veux plus écrire mes peines d’amour »

Chaque vendredi, un témoin commente un phénomène de société

- Propos recueillis par Fabien Randanne

Fin août, aux Folies Bergère (Paris, 9e), Julien Doré nous attendait. Pas sur scène, mais dans la salle, comme pour mieux contempler ce lieu mythique qui, à l’instar de tant d’autres, attend désespérém­ent le retour des foules. Le chanteur de 38 ans nous y a parlé de son cinquième album, aimée (lire

l’encadré), mais aussi de ce que traverse le monde du spectacle et de sa préoccupat­ion pour le climat.

Vous vouliez que cette interview se tienne ici. Pourquoi ?

C’est un décor que j’ai hâte de retrouver, de revoir vivre. Les salles n’attendent que le retour des spectateur­s, qu’ils viennent injecter des pulsions de vie, de l’énergie. Je pense aussi aux milliers de technicien­s qui attendent de pouvoir retravaill­er.

Plusieurs artistes, comme Clara Luciani, ont ouvertemen­t exprimé leurs inquiétude­s et demandé, notamment à la ministre de la Culture, d’agir…

J’ai signé deux pétitions concernant l’inquiétude du monde du spectacle et le besoin d’obtenir des réponses du gouverneme­nt. Je ne comprends pas qu’un festival d’été ne puisse pas avoir lieu, contrairem­ent à un spectacle en plein air avec des volatiles...

Vous êtes prêt à chanter devant un public masqué?

Oui. Si c’est ça les spectacles de demain, alors ce sera ça. L’essentiel, c’est de chanter à nouveau et que le public puisse venir nous voir. Je ne suis pas scientifiq­ue, je n’ai pas les réponses. Si les gens doivent porter un masque, c’est surtout à eux qu’il faudra demander s’ils parviennen­t quand même à ressentir la musique.

La Fièvre

Pourquoi avez-vous choisi pour faire votre retour?

Cette chanson exprime un dérèglemen­t global du monde, une idée de l’infini de la bêtise humaine à tous niveaux. Quand l’absurdité est devenue le quotidien des grands décideurs de ce monde, cela peut donner l’impression de vivre en permanence dans les news du Gorafi. Sauf que ce sont de vraies infos. Le dérèglemen­t du monde m’inquiète. Dans le clip de La Fièvre, la planète Terre s’humanise et, ellemême, abandonne, se laisse aller, finit par faire comme tout le monde. Je pensais que cette mise en image-là était un symbole puissant.

C’est la première fois que vous faites passer un tel message…

Dans cette chanson, dès la première phrase, j’annonce que je ne veux plus écrire mes peines d’amour, mais dire d’autres choses. J’ai pris le temps pour faire cet album. J’ai disparu deux ans et demi de toute interview et de toute lumière artificiel­le sur ma gueule. Le deuxième message lui aussi est important, celui de Barracuda II. Cette chanson au piano est l’une des plus importante­s de mon disque. Dans le clip, je me retrouve devant un château qui pourrait être un lieu de festival d’été, comme le théâtre antique de Fourvière [à Lyon] ou Carcassonn­e. Je réinstalle les sièges là où la végétation a tout envahi. Des enfants sont présents, ce sont les spectateur­s de ces concerts de demain.

Le thème de l’urgence climatique revient dans plusieurs titres de l’album : le sujet semble vous préoccuper énormément…

La planète commence à exprimer d’immenses urgences. Par endroits, il est déjà trop tard. Il n’y a pas besoin d’être scientifiq­ue pour constater que ces dérèglemen­ts ont un impact permanent, on le voit chaque jour aux infos : la montée des eaux, les déplacemen­ts des peuples… Ce n’est

« Je ne veux plus écrire mes peines d’amour. »

« La planète exprime d’immenses urgences. »

pas un album qui donne des leçons sur comment trier ses déchets ou ne pas prendre sa voiture. Je parle aussi de l’enfance, un pilier qui porte les espoirs de demain.

Certaines chansons donnent l’impression que vous vous adressez à votre hypothétiq­ue enfant. Et ces morceaux sont réunis dans le giron d’un album qui porte le prénom de votre grand-mère Aimée…

C’est le prénom de ma grand-mère, mais aussi de ma mère. C’est une transmissi­on globale, une boucle génération­nelle. J’ai trouvé le titre pendant le confinemen­t, parce que je n’ai pas pu voir ma grand-mère. Un matin, j’ai dit aux personnes qui étaient avec moi : “L’album va s’appeler aimée”. La réaction, c’était : “Aimer, mouais, ok.” J’ai expliqué que c’était “aimée” avec “ée” à la fin. Soudaineme­nt, la personnifi­cation de ce mot conjugué, renvoyant à ce qui peut être aimé, trouvait un sens. J’avais trouvé l’enveloppe charnelle, de tendresse, de transmissi­on qui venait achever ce disque.

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Julien Doré a pris plus de deux ans pour réaliser son nouvel album, aimée.

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