Les livreurs espèrent un relais financier des plateformes
Précarisés, ils appellent les plateformes à revoir les règles du jeu
A croiser tous ces livreurs de repas, à trottinette ou à vélo, dans les rues un peu plus vides de Toulouse, on se dit que dans certains secteurs d’activité le confinement peut se transformer en Eldorado. C’est aller un peu vite en besogne. « Lundi soir, on s’est retrouvés à une quinzaine de collègues vers 20 h 30 sur la place de la Trinité à regarder nos téléphones en attendant une commande », raconte Frédéric (1). Le désoeuvrement total à l’heure théorique du rush. «Bizarrement, on sonne pas, confirme Yohan Tallandier dans son jargon. C’est pas la folie du tout. » Frédéric, qui livre à temps plein pour les deux applis les plus célèbres, Deliveroo et Uber Eats, a connu l’époque « où ça marchait bien ». Mais le Toulousain de 28 ans a fait ses calculs et parle en chiffre d’affaires, vu qu’il est autoentrepreneur et paie 20 % de cotisations à l’urssaf (bientôt 22 %) : 2 650 € en octobre 2019 mais 1175 seulement le mois dernier, dans un monde post Covid-19, où il a moins travaillé. « C’est presque insultant, pour une vie éreintante où l’on prend physiquement tous les risques et où j’en vois certains développer une dépendance psychologique à la plateforme», déplore le professionnel. «L’autre jour, j’ai travaillé 6 h pour gagner 12,50 € », témoigne Yohan. Celui qui est aussi le secrétaire général du syndicat des livreurs ubérisés Toulousains, le lut CGT (2), estime que le chiffre d’affaires d’un livreur est de 8 à 9 € de l’heure et rappelle – c’est bon à savoir – que les pourboires versés en ligne sont, eux aussi, soumis à cotisations sociales.
Le syndicaliste tient pour preuve du vague à l’âme grandissant de ses collègues, le succès inespéré de la manifestation, et de la grève de la connexion, qu’il a organisées vendredi soir, premier jour du reconfinement au centre-ville de Toulouse. «Je me suis dit : “c’est bizarre tous ces gens qui commandent chez Burger King” », plaisante-t-il. En fait, ils étaient plus d’une centaine de livreurs venus défiler avec lui.
Du blocage des comptes sans explication, à l’augmentation du prix des commandes, en passant par « le droit aux congés payés », la liste des revendications du syndicat est longue.
Prêt à la négociation
Contacté par 20 Minutes, Uber Eats se dit prêt à la négociation sociale. « Nous échangeons très régulièrement avec les livreurs qui utilisent l’application à Toulouse pour trouver tous ensemble les meilleures réponses aux enjeux soulevés, indique un porte-parole. Nous sommes ouverts au dialogue et sommes engagés à continuer à réfléchir aux solutions les plus efficaces pour soutenir l’activité des livreurs.» Frédéric n’attendra pas l’issue des échanges. «La tyrannie des algorithmes», il en a soupé. Il veut rester livreur à vélo, mais souhaite «prospecter des boîtes» pour qui il livrera. « Des clients assurés, comme ça, je saurai que j’ai du travail pour le lendemain », souligne-t-il.
(1) Le prénom a été changé (2) slut-cgt@hotmail.com