Les ados perdus de Paris
De jeunes Marocains se défoncent dans un square du 18e
Au fond d’un square sans charme, cinq ados discutent autour d’un banc. La scène semble des plus ordinaires. Si ce n’est les sacs en plastique rose qu’ils portent à leur bouche pour inhaler la colle qu’ils contiennent. Depuis le mois d’octobre, entre 25 et 30 Marocains, pour la plupart originaires de Fès, squattent le square AlainBashung (18e). Tous sont mineurs (le plus jeune a 9 ans) et livrés à eux-mêmes. « Vous êtes de la police ? », lance Anass. A 17 ans, cette grande liane au visage creusé qui porte sa méfiance en bandoulière rêve de retourner à Casablanca. « C’est dur la France, je voudrais aller revoir ma famille », confie-t-il. Pourquoi ne pas rentrer, alors ? « Là-bas aussi, c’est pas bien », glisse-t-il entre deux lampées d’alcool. « C’est pour se réchauffer, il fait froid. » Il nie, en revanche, se droguer. « Tous ne sont pas en situation de toxicomanie, explique Séverine Canale, l’une des responsables de l’association Hors la Rue, mandatée par la mairie pour accompagner ces enfants. Ça concerne principalement les plus jeunes. » Le parcours de ce groupe est difficile à établir. Seule certitude, tous ont transité par l’Espagne. « Ils ont pour la plupart au moins un parent, mais on ignore précisément s’ils se sont enfuis ou si on les a poussés à partir… », indique Olivier Peyroux, sociologue pour l’association Trajectoires, également mandatée par la mairie. Dans le quartier, les habitants plaignent la vie de ces enfants, mais leur présence rend le quotidien difficile. Musique à fond le soir, bagarres, insalubrité due aux sacs qui ont servi à la défonce et excréments, larcins... « Bien sûr qu’on vole, comment voulez-vous qu’on fasse autrement ? » lâche Anass, dans un élan de sincérité déconcertant.
Pris dans un réseau ?
« La prise en charge classique ne fonctionne pas », reconnaît-on à la mairie. Un accueil de jour leur a été proposé pour qu’ils puissent se laver, se reposer ou apprendre le français, mais ils refusent de s’y rendre. «La drogue, ça les détraque », se désole un boucher qui leur a tendu, en vain, la main. Ces gamins sont-ils livrés à eux-mêmes ou sont-ils pris au piège d’un réseau ? « Ils ont une telle mobilité en Europe qu’on pense qu’il y a des adultes derrière », avance Olivier Peyroux. Mais l’enquête piétine. Et les sacs rose continuent de joncher le square Alain-Bashung...