Le Tanger des écrivains
De Jack Kerouac à Marguerite Yourcenar, la ville marocaine a séduit les auteurs
«Quel est le point commun entre Paul Bowles, Tahar Ben Jelloun, Camille Saint-Saëns et Henri Matisse ? Ces artistes sont tous tombés sous le charme de Tanger. Depuis le XVIIe siècle, la position géographique et politique de Tanger fait de ce port marocain le carrefour des mondes arabe et européen. Entre 1923 et 1956, la zone de Tanger est sous la houlette de plusieurs nations (France, Espagne, Royaume-Uni, Etats-Unis, Italie…). Rapidement, la ville devient un véritable bouillon de cultures où se croisent artistes et écrivains. Au point d’en faire un lieu mythique pour les voyageurs, qui revisitent les endroits où cette intelligentsia se retrouvait. A commencer par les cafés et autres bars : « Au café Hafa, l’écrivain américain Paul Bowles fumait du kif [du cannabis] et au café Baba, dans le haut de la médina, la Beat Generation se réunissait, énumère Philippe Guiguet-Bologne, écrivain et Tangérois d’adoption. Il y aussi le café Tingis, l’un des grands théâtres de la vie tangéroise, où on a vu Truman Capote et Tennessee Williams… » Conséquence, les touristes sont nombreux à déambuler sur la place du Petit Socco, chère à Joseph Kessel, afin de reconstituer ce « Tanger littéraire ». « Beaucoup de noms s’entrecroisent dans peu de lieux. C’est gratifiant pour un visiteur », remarque Simon-Pierre Hamelin, écrivain et directeur de la librairie des Colonnes… où se déplaçait régulièrement Jean Genet et où, fut une époque, « des cohortes de pèlerins se rendaient comme on va au musée », s’amuse-til. Certains lieux, comme le café Claridge ou le Rubis, ont gardé leur aura.
Un lieu de fantasme
Dans cet héritage culturel, les faits ont tendance à se fondre dans la légende : « Jack Kerouac n’est resté que deux semaines à Tanger et ça ne s’est pas bien passé. Mais on en entend encore parler. Ça s’inscrit dans l’histoire de la ville, souligne Simon-Pierre Hamelin. Pareil pour Marguerite Yourcenar, elle n’est restée que quelques jours… » Pourquoi une telle fascination des artistes pour cette ville ? D’abord, explique Simon-Pierre Hamelin, parce qu’ils y trouvaient une liberté loin des mondanités occidentales plus normées, ainsi que des plaisirs plus… matériels. Mais pas seulement : « Tanger est un espace où l’imaginaire peut spéculer, décrit Philippe Guiguet-Bologne. Il y a des ordures, des maisons qui s’écroulent, mais aussi de la beauté, des contacts humains. Des choses dont on a besoin d’être abreuvé quand on écrit. »