Une scène pour s’évader
A Meaux, des détenus préparent avec des acteurs professionnels une pièce de théâtre
«Rien ne me fait peur », s’exclame-t-il d’un ton assuré. Dans la médiathèque du centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin (Seine-et-Marne), à côté d’un mur graffé et éclairé par des néons blancs, Kamel enchaîne les répliques de Diomède, le personnage de la célèbre épopée d’Homère, L’Iliade. C’est l’une des ultimes répétitions de l’épisode 3 : « Un jour de bataille ». Le 4 mai, ce détenu de 35 ans jouera avec cinq autres prisonniers, huit acteurs professionnels et une chanteuse iranienne sur la scène du Théâtre ParisVillette (19e) cette pièce adaptée par Alessandro Baricco. Une prouesse culturelle et sociale unique. « Ce projet prouve que la prison est un endroit où il y a aussi de la vie », affirme Yannick Le Meur, directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation de Seine-et-Marne. « Cette histoire, c’est un récit collectif », abonde la directrice du Théâtre Paris-Villette, Valérie Dassonville.
« J’oublie la prison »
Il y a plus de deux ans, Irène Muscari, coordinatrice culturelle au sein de la prison de Meaux-Chauconin, sollicite Luca Giacomoni, metteur en scène. Lui, a envie de faire du théâtre en prison. Elle, souhaite travailler sur le thème de la violence. Ils unissent alors leur force et se lancent dans ce projet « fou ». Luca Giacomoni choisit L’Iliade, qui « mêle le conflit, le droit, l’honneur et la complexité des passions humaines » et « nous laisse face à l’énigme d’une guerre que personne ne veut réellement, mais dont tout le monde respecte les règles », détaille-t-il. Irène Muscari présente le projet aux détenus et, au fil du temps, une troupe, mêlant acteurs de métier et personnes incarcérées, se compose. « Au début, c’était un passe-temps. Mais j’ai commencé à prendre ça au sérieux quand on a joué devant le personnel pénitentiaire », détaille Kamel. A côté de lui, Samir, 26 ans, confie : « Ce projet me permet de m’évader. Quand je joue, quand je me retrouve dans un personnage, j’oublie la prison et le moment présent. » Le metteur en scène et les autres acteurs n’ont pas voulu connaître les raisons de leur incarcération. « Quand j’ai découvert l’énergie des détenus, j’ai compris qu’ils étaient les héros et les rois du mythe grec », mentionne Luca Giacomoni. « C’est intéressant car on joue avec des gens qui ont un passé, que l’on ne connaît pas, mais qu’on ne cherche pas à connaître », note Michel, 59 ans. « On a mis de côté nos a priori, nos peurs, admet Eliott, 26 ans, et on a découvert l’homme, l’humain, avec force. »
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