20 Minutes

Des trous d’air en plein vol

Au saut à ski, les meilleurs mondiaux peuvent devenir quelconque­s d’une année à l’autre

- De notre envoyé spécial en Corée du Sud, William Pereira

Dans la grande famille des athlètes olympiques increvable­s, on demande Noriaki Kasai. Le sauteur japonais de 45 ans dispute, les huitièmes JO de sa carrière. Brillant. Etonnant. Contradict­oire, même, dans un sport où il est plus courant d’exceller pendant deux ou trois ans, avant de redevenir quelconque. Les légendaire­s Schmitt et Hannawald en sont les meilleurs exemples : le saut à ski (le grand tremplin à suivre ce vendredi à 13 h 30) est une lutte perpétuell­e.

Un combat entre l’athlète et son corps.

Coline Mattel, seule médaillée française de la discipline (bronze à Sotchi), est le modèle le plus frappant. « Après les Jeux, elle a eu du mal à tenir son niveau de poids, confie son premier coach, Thierry Revillod. C’est souvent plus dur chez les filles. » Avant Sotchi, déjà, elle avait dû consentir à d’énormes sacrifices : l’adolescenc­e avait engendré des transforma­tions qui lui avaient fait prendre des kilos indésirabl­es. A la longue, ce n’est pas soutenable. « Ça fait trois ans que je tire sur la corde, que je manque d’énergie, ajoute Vincent Descombes-Sevoie, le leader français de saut à ski. Il faut faire gaffe à bien manger et ce n’est pas évident. »

Un instinct à garder.

« Tout se joue au niveau des sensations en quittant le tremplin », explique l’ancien spécialist­e du combiné nordique Fabrice Guy. Il y a un côté mystique, au moment où l’on quitte la table. Quelque chose d’insaisissa­ble. « On appelle ça le trou noir, on ne réalise pas trop ce qui se passe, résume Nicolas Dessum, premier Français à avoir remporté une épreuve de Coupe du monde, en 1995. Quand on réfléchit trop, c’est à ce moment-là que tout se passe moins bien. Des sauteurs plus instinctif­s, sur une période donnée, vont très bien sauter, parce qu’ils sont en confiance. Mais si les sensations sont perdues, ça va être dur à reproduire. »

Une hantise de la chute.

Fin novembre 2017, Jason Lamy-Chappuis perdait le contrôle dans les airs. « C’est une des plus grosses chutes que j’aie eues, j’ai failli partir en salto avant, raconte le porte-drapeau à Sotchi. Les quinze jours suivants, je pensais plus à ne pas tomber, plutôt qu’à essayer d’être performant. » Certains n’ont pas réussi à surmonter leur peur, comme Thomas Morgenster­n, triple champion olympique, qui a connu une chute affreuse en 2014. « Après être tombé, on essaie forcément de se mentir, de se rassurer, de se dire que ce n’est pas grave. Mais ce n’est plus pareil », conclut Fabrice Guy.

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Coline Mattel a décroché le bronze à Sotchi, avant de s’effondrer.

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