La médecine atteinte du « syndrome méditerrannéen » ?
L’affaire Naomi Musenga libère la parole sur le « syndrome méditerranéen », selon lequel les soins varieraient en fonction de l’origine
Ce n’est pas une maladie rare liée au soleil ou à l’eau turquoise. Le
« syndrome méditerranéen » est un préjugé partagé par certains soignants et selon lequel les patients originaires des pays méditerranéens exprimeraient plus bruyamment, plus expressivement leur douleur. Le sujet a émergé après l’affaire Naomi Musenga, du nom de cette jeune femme dont l’appel au Samu de Strasbourg n’a pas été pris en compte. Le drame a fait se délier certaines langues sur cette représentation biaisée de la douleur.
Tabou ou simple rumeur ?
Un externe, qui a souhaité garder l’anonymat, se souvient en avoir entendu parler en amphithéâtre de médecine : « Le message derrière tout ça, même si ce n’est pas dit aussi clairement, c’est qu’il faut moins vite s’inquiéter. On m’a déjà répondu, au sujet d’une patiente maghrébine qui souffrait réellement, “non, elle a un beau syndrome méditerranéen”. » Une rumeur, aux yeux de Patrick Chamboredon, président de l’Ordre des infirmiers : « La question posée par la mort de Naomi Musenga, ce n’est pas le biais raciste, mais comment améliorer l’évaluation de la douleur au téléphone. Une meilleure formation des opérateurs du Samu serait une piste intéressante. » « Certains soignants reçoivent une courte formation à l’anthropologie. On leur présente des études des années 1950 qui expliquent que les Américains originaires du sud de l’Italie se plaignent davantage et ont du mal à expliquer où ils ont mal, souligne Marc Loriol, sociologue et coauteur de Discrimination ethnique et rapport au public : une comparaison interprofessionnelle – ce rapport, publié en 2010, évoque ce « syndrome méditerranéen. Ces informations, datées et mal digérées, peuvent entraîner un message simpliste. » Et de souligner que, « dans tous les métiers, plus on demande aux gens d’être productifs, moins ils ont le temps de décortiquer chaque cas individuel ». Depuis plusieurs mois, les dénonciations de maltraitances et de sexisme entre soignants et envers les patientes ont crispé certains, fait réfléchir d’autres. Le drame du décès de Naomi Musenga permettrat-il une prise de conscience sur ces stéréotypes ethniques ? Pour Baptiste Beaulieu, médecin et romancier, il est « l’occasion de démonter les arguments de ceux qui y croient et de mettre en avant la pluralité de l’expression de la douleur. Les combats pour les minorités, femmes, LGBT, etc., avancent beaucoup dans la société, comme dans les facs de médecine. Et la nouvelle génération de médecins semble sensible à ces discriminations. »