Happés sur toute la ligne
Gratuite et plus « conviviale » que les mails, l’appli WhatsApp est de plus en plus utilisée entre collègues. Mais son usage peut très vite déborder sur la sphère privée.
Dès son arrivée dans son entreprise de marketing digital, basée en Allemagne, Charles a été ajouté à la boucle WhatsApp de son équipe. « A l’intérieur de ce groupe, on trouve tous les niveaux hiérarchiques, du stagiaire au patron », détaille celui qui fait partie du milliard d’utilisateurs revendiqués par l’application gratuite.
Fondée en 2009 et rachetée par Facebook en 2014, elle permet d’échanger des messages, des sons, des images et des documents en temps réel avec plusieurs personnes, à n’importe quel endroit du globe. De plus, «presque tout le monde l’utilise dans un cadre privé, donc ça ne nécessite aucune installation supplémentaire», ajoute Charles. Directrice commerciale, Virginie, elle, a « lancé une conversation WhatsApp avec [ses] jeunes commerciaux pour communiquer de façon directe, informelle et conviviale». L’appli est aussi très utile à Pierre, qui gère une caserne de pompiers : «On a tous un boulot à côté, puisque nous sommes pour la plupart pompiers volontaires, ça nous fait gagner du temps quand on a une information urgente à communiquer au groupe, comme un retard avant le début de notre garde.»
Droit à la déconnexion
Si les fonctionnalités de WhatsApp font consensus, certains employés pointent des difficultés. Ludivine, 27 ans, exemployé à McDonald’s, dit s’être sentie «contrainte» d’utiliser l’appli : «On en venait à se faire réprimander si on ne répondait pas aux messages, y compris lorsqu’on n’était pas en poste.» JeanCharles avait lui aussi l’appli lorsqu’il était en agence de presse : «On était censé l’utiliser pour les événements graves, comme les attentats. Mais ça a tourné au n’importe quoi. On recevait des notifications sur des sujets qui n’avaient rien à voir.» Charles abonde : «C’est devenu un fil où, chaque matin, un membre de l’équipe annonçait, par exemple, son retard parce qu’il avait trop bu la veille. Ça a normalisé des comportements qui ne sont pas censés l’être en entreprise.» Au-delà de la question du mélange des genres (privé et professionnel) et de celle de l’utilisation des données personnelles, s’ajoute celle du droit à la déconnexion. «La charge mentale pour le salarié qui ne répond pas à la boucle ne doit pas être sous-estimée, alerte Christine Balagué, titulaire de la chaire réseaux sociaux à l’Institut Mines-Télécom-TEM. Il faut responsabiliser les cadres qui développent ces conversations parallèles à l’entreprise. »
Virginie a ainsi imposé des règles à son équipe : «On fait attention à ne pas envoyer de message le week-end, le soir, tôt le matin, pendant les vacances. Et je ne fais aucune demande managériale.» Charles, lui, continue de recevoir les messages de ses collègues en retard ou malades. Mais son «patron réfléchit à supprimer cette conversation. C’est devenu contre-productif.»