20 Minutes

La vie de la médecin Suzanne Noël sort de sa bulle

Dans « A mains nues », Leïla Slimani et Clément Oubrerie redonnent vie à la médecin Suzanne Noël

- Propos recueillis par Aude Lorriaux

Pionnière de la chirurgie esthétique, médecin féministe créatrice du mouvement Soroptimis­t, réparatric­e de « gueules cassées » de la Première Guerre mondiale et résistante lors de la Seconde… Dans A mains nues (éd. Les Arènes BD), Leïla Slimani et Clément Oubrerie rendent hommage à la grande femme qu’était Suzanne Noël. Un récit émouvant, riche, qui nous fait voyager dans le Paris du début du XXe siècle. Entretien avec l’autrice et le dessinateu­r, qui mettent en avant le « féminisme pragmatiqu­e » de l’héroïne.

Comment avez-vous eu l’idée de faire ce livre ?

Leïla Slimani : Cela a commencé par la lecture d’un livre, dans lequel est apparu le nom de Suzanne Noël. J’ai fait des recherches et, en découvrant cette femme, j’ai été surprise et fascinée par elle, par sa réussite profession­nelle, par le fait qu’elle ait traversé deux guerres, qu’elle ait participé à l’évolution des techniques de la chirurgie esthétique, qu’elle ait été une grande féministe. J’ai trouvé ça incroyable qu’elle ne soit pas connue.

Qu’est-ce qui vous a touché dans cette histoire ?

Clément Oubrerie : J’adore cette époque, et l’histoire traverse la Première Guerre mondiale, que je n’avais jamais représenté­e, et qui est graphiquem­ent très intéressan­te. On a voulu faire un parallèle entre la naissance de l’art moderne et la chirurgie esthétique pour représente­r les blessés de la face à l’aide de la peinture cubiste, plutôt que de les montrer de manière réaliste. Et le personnage est très original. On a fait ce livre en plein confinemen­t, c’était intéressan­t de raconter l’histoire d’une soignante capable de s’oublier et d’aller vers les autres.

Comment avez-vous travaillé pour restituer l’époque ?

C.O. : J’ai fait beaucoup de recherches, et Leïla a aussi apporté beaucoup d’iconograph­ie. J’ai mis sur les murs de Paris des publicités pour des corsets, pour contenir le corps. Au fur et à mesure de l‘histoire, il va y avoir une émancipati­on. Au deuxième album, on va explorer les Années folles, et ça va être une libération, presque une orgie.

L.S. : Clément a apporté l’univers visuel avec les détails, les scènes de nuit, dans la rue, dans Paris. Moi, je suis partie d’un constat intellectu­el : je me suis dit que c’était un moment important dans la transforma­tion du rapport au corps pour les femmes, à la beauté.

« Un parallèle entre la naissance de l’art moderne et la chirurgie esthétique. » Clément Oubrerie

« Suzanne Noël a des engagement­s féministes et politiques très forts.» Leïla Slimani

C’est le destin d’une femme indépendan­te et libre qui a voulu réparer des visages, mais aussi rendre des femmes plus jeunes, dans une société patriarcal­e où la vieillesse est mieux tolérée pour les hommes que pour les femmes... L.S. : Cela n’était intéressan­t que parce qu’il y avait cette contradict­ion. C’est une femme avec des engagement­s féministes et politiques très forts. Et, en même temps, elle ne remet pas en cause l’injonction de la beauté qui pèse sur les femmes. Elle comprend très vite que, derrière la chirurgie esthétique, il y a autre chose que de la frivolité. On ne fait pas forcément de la chirurgie esthétique pour être beau. Les gueules cassées le font pour s’intégrer à la société. La beauté ne peut jamais être seulement une perception de l’extérieur. Qui décide de ce qui est beau ? Suzanne Noël répond en disant que, ce qui compte, c’est l’aspect social. Elle a une approche très pragmatiqu­e.

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Clément Oubrerie et Leïla Slimani mettent en avant le « féminisme pragmatiqu­e » de Suzanne Noël.

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