A coeur et à cri
Favorite de nos lecteurs pour le Goncourt qui sera attribué lundi, l’autrice des « Impatientes » aborde, avec émotion, les violences faites aux femmes.
Avec Les Impatientes (éd. Emmanuelle Collas), paru en septembre, Djaïli Amadou Amal a créé la surprise, en se hissant dans le dernier carré
des finalistes du Goncourt. Un roman émouvant, qui se lit avec la rage au coeur et qui provoque une immense empathie pour ses trois personnages, Ramla, Hindou et Safira, qui subissent mariages forcés, polygamie, viols et violences de toutes sortes. Verra-t-on cette féministe engagée remporter lundi le prestigieux prix ?
Votre livre montre les souffrances que causent la polygamie et le mariage forcé. Pourquoi avez-vous eu envie de dénoncer cela ?
Le livre traite des violences faites aux femmes sous plusieurs formes : le viol conjugal, les violences physiques, la polygamie comme violence morale et économique. J’ai eu envie d’en parler parce que c’est un sujet universel. Ensuite, parce qu’il y a ce besoin-là de témoignages des femmes. Pour pouvoir sensibiliser. Ces héroïnes sont peules, habitent au Cameroun. Et il me semble qu’il n’y a pas que ce point commun avec vous…
Ce roman est une fiction inspirée de faits réels, mais ce n’est absolument pas une autobiographie, ni un témoignage. Je suis de père peul et de mère égyptienne, c’est vrai. Mais rappelons que les Peuls se retrouvent dans pratiquement 22 pays en Afrique. La seule chose qui se rapproche de moi, c’est que j’ai vécu un mariage forcé. A l’âge de 17 ans, j’ai été donnée en mariage à un homme qui avait la cinquantaine, et je ne le voulais pas.
La solidarité des femmes de votre roman est minée par une sourde rivalité, engendrée par la mise en concurrence qu’est la polygamie…
C’est un classique dans le système polygamique. Une coépouse n’est pas une amie, c’est une rivale, les femmes le conçoivent ainsi. Et elles se rendent complices de ces violences, car elles font souffrir leurs coépouses. Il faut que les femmes prennent conscience de leur condition et qu’elles soient solidaires pour faire évoluer les choses.
Beaucoup des lecteurs et lectrices vont peut-être se demander pourquoi toutes vos héroïnes ne fuient-elles pas ?
Les femmes finissent par accepter, par sens des responsabilités. Et fuir pour aller où ? Pour faire quoi ? On n’a pas d’institution pour nous aider. Vous n’allez pas fuir pour aller dormir sous les ponts, pour mourir de faim. Vous n’avez pas de diplôme, vous ne savez rien faire de vos mains, vous avez été protégée toute votre vie par votre famille. Les femmes n’ont pas les moyens de fuir. Elles passent directement de l’autorité parentale à l’autorité de l’époux, et restent dépendantes toute leur vie.
Le mot « munyal », ou « patience » en peul, revient tout le temps, comme un slogan répété aux femmes pour qu’elles acceptent le pire…
Le « munyal » au départ est une valeur fondamentale de la culture peule. C’est le fait de supporter, d’accepter le destin. Mais quand on dit « munyal » à une femme, ça va plus loin que cela, cela veut dire : « Accepte tout sans te plaindre. »
La religion sert dans le livre de prétexte ou d’appui à la domination masculine. Aux femmes qui osent exister, on cite des passages du Coran ou des hadiths qui autorisent les maris à frapper, à punir. Quel est votre propre rapport à la religion et à l’islam ? Je suis musulmane pratiquante et convaincue. Je cite les versets du Coran et les hadiths dans le livre pour démontrer que, en réalité, cette souffrance n’est pas liée à la religion et au Coran, mais à une mauvaise interprétation des textes. Les hommes citent le Coran et disent qu’ils peuvent avoir jusqu’à quatre épouses. Mais ils ne citent pas le texte complètement, qui dit que c’est à la condition d’être juste et équitable envers elles. Et qu’il vaut mieux sinon n’en avoir qu’une. La religion est prise en otage, elle est un prétexte. Et c’est la même chose pour les chrétiens dans cette région du Sahel : on va leur dire qu’Abraham a eu plusieurs épouses.
« Ce roman n’est pas une autobiographie. »
« La religion est prise en otage, elle est un prétexte.»