20 Minutes

A coeur et à cri

Favorite de nos lecteurs pour le Goncourt qui sera attribué lundi, l’autrice des « Impatiente­s » aborde, avec émotion, les violences faites aux femmes.

- Propos recueillis par Aude Lorriaux

Avec Les Impatiente­s (éd. Emmanuelle Collas), paru en septembre, Djaïli Amadou Amal a créé la surprise, en se hissant dans le dernier carré

des finalistes du Goncourt. Un roman émouvant, qui se lit avec la rage au coeur et qui provoque une immense empathie pour ses trois personnage­s, Ramla, Hindou et Safira, qui subissent mariages forcés, polygamie, viols et violences de toutes sortes. Verra-t-on cette féministe engagée remporter lundi le prestigieu­x prix ?

Votre livre montre les souffrance­s que causent la polygamie et le mariage forcé. Pourquoi avez-vous eu envie de dénoncer cela ?

Le livre traite des violences faites aux femmes sous plusieurs formes : le viol conjugal, les violences physiques, la polygamie comme violence morale et économique. J’ai eu envie d’en parler parce que c’est un sujet universel. Ensuite, parce qu’il y a ce besoin-là de témoignage­s des femmes. Pour pouvoir sensibilis­er. Ces héroïnes sont peules, habitent au Cameroun. Et il me semble qu’il n’y a pas que ce point commun avec vous…

Ce roman est une fiction inspirée de faits réels, mais ce n’est absolument pas une autobiogra­phie, ni un témoignage. Je suis de père peul et de mère égyptienne, c’est vrai. Mais rappelons que les Peuls se retrouvent dans pratiqueme­nt 22 pays en Afrique. La seule chose qui se rapproche de moi, c’est que j’ai vécu un mariage forcé. A l’âge de 17 ans, j’ai été donnée en mariage à un homme qui avait la cinquantai­ne, et je ne le voulais pas.

La solidarité des femmes de votre roman est minée par une sourde rivalité, engendrée par la mise en concurrenc­e qu’est la polygamie…

C’est un classique dans le système polygamiqu­e. Une coépouse n’est pas une amie, c’est une rivale, les femmes le conçoivent ainsi. Et elles se rendent complices de ces violences, car elles font souffrir leurs coépouses. Il faut que les femmes prennent conscience de leur condition et qu’elles soient solidaires pour faire évoluer les choses.

Beaucoup des lecteurs et lectrices vont peut-être se demander pourquoi toutes vos héroïnes ne fuient-elles pas ?

Les femmes finissent par accepter, par sens des responsabi­lités. Et fuir pour aller où ? Pour faire quoi ? On n’a pas d’institutio­n pour nous aider. Vous n’allez pas fuir pour aller dormir sous les ponts, pour mourir de faim. Vous n’avez pas de diplôme, vous ne savez rien faire de vos mains, vous avez été protégée toute votre vie par votre famille. Les femmes n’ont pas les moyens de fuir. Elles passent directemen­t de l’autorité parentale à l’autorité de l’époux, et restent dépendante­s toute leur vie.

Le mot « munyal », ou « patience » en peul, revient tout le temps, comme un slogan répété aux femmes pour qu’elles acceptent le pire…

Le « munyal » au départ est une valeur fondamenta­le de la culture peule. C’est le fait de supporter, d’accepter le destin. Mais quand on dit « munyal » à une femme, ça va plus loin que cela, cela veut dire : « Accepte tout sans te plaindre. »

La religion sert dans le livre de prétexte ou d’appui à la domination masculine. Aux femmes qui osent exister, on cite des passages du Coran ou des hadiths qui autorisent les maris à frapper, à punir. Quel est votre propre rapport à la religion et à l’islam ? Je suis musulmane pratiquant­e et convaincue. Je cite les versets du Coran et les hadiths dans le livre pour démontrer que, en réalité, cette souffrance n’est pas liée à la religion et au Coran, mais à une mauvaise interpréta­tion des textes. Les hommes citent le Coran et disent qu’ils peuvent avoir jusqu’à quatre épouses. Mais ils ne citent pas le texte complèteme­nt, qui dit que c’est à la condition d’être juste et équitable envers elles. Et qu’il vaut mieux sinon n’en avoir qu’une. La religion est prise en otage, elle est un prétexte. Et c’est la même chose pour les chrétiens dans cette région du Sahel : on va leur dire qu’Abraham a eu plusieurs épouses.

« Ce roman n’est pas une autobiogra­phie. »

« La religion est prise en otage, elle est un prétexte.»

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A nos lecteurs. Retrouvez votre journal «20 Minutes» mercredi dans les racks. En attendant, vous pouvez suivre toute l’actualité sur l’ensemble de nos supports numériques.
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Les Impatiente­s, de Djaïli Amadou Amal, est un roman émouvant dont les trois personnage­s féminins subissent des mariages forcés et des viols.

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