« Black Mirror »
Quand la fiction dépasse la dureté de la réalité
Tous ceux qui ont vu Black Mirror se sont posé la question : et si cela devenait réalité ? Dans Black Mirror et l’aurore numérique*, Vincenzo Susca, maître de conférences en sociologie à l’université Paul-Valéry, à Montpellier (Hérault), et Claudia Attimonelli, socio-sémiologue à l’université AldoMoro à Bari (Italie), décortiquent cette série « qui esquisse la société du futur ». « Black Mirror raconte ce que nous sommes en train de vivre, voire ce que nous allons vivre, confie Vincenzo Susca. L’intelligence de Charlie Brooker [le producteur] a été d’élaborer chaque épisode à partir de quelque chose qui s’est déjà passé. La série ne fait que radicaliser des expériences que nous vivons déjà. » Ce n’est ni « Star Wars », ni « Matrix » : elle ne fait jamais intervenir de « technologies inimaginables, bizarres ou compliquées », poursuit le chercheur, mais des « choses que nous connaissons déjà, en les poussant un tout petit peu ». Ce jeune homme qui accepte, pour de l’argent, qu’on lui greffe dans le cerveau un jeu vidéo d’horreur ou ces gens qui pédalent toute la journée pour participer à un télécrochet ne seraient rien d’autre que le prolongement de ce que l’on connaît. Parmi les thèmes abordés, la politique. Dans le premier épisode, « L’Hymne national », sorti en 2011, le Premier ministre anglais se voit contraint, par le ravisseur de la princesse, d’avoir des rapports sexuels avec un porc, en direct à la télévision, pour qu’elle s’en sorte. Sous la pression, il finit par céder. De la science-fiction ? « Le politique est sous le contrôle, voire la menace, des médias, et notamment des médias qui viennent du bas, les réseaux sociaux, décrit Vincenzo Susca. Ils deviennent un pouvoir plus important que le pouvoir lui-même. »
Trump est bien réel
Dans «Le Show de Waldo», sorti en 2013, un ours en images de synthèse acquiert une soudaine popularité, tandis qu’il s’écharpe, devant un public hilare, avec un membre du Parti conservateur. Il finit… par s’investir en politique. « Ce sont Silvio Berlusconi en Italie ou Donald Trump aux EtatsUnis, note le chercheur. Des politiques qui ne visent plus à faire réfléchir, mais à séduire. » Au lendemain de l’accession de l’homme d’affaires à la Maison-Blanche, le compte Black Mirror avait tweeté : « Ce n’est pas un épisode […], c’est la réalité », relèvent les auteurs.Mais tout n’est pas perdu. Ainsi, l’héroïne de « Black Museum » finit par avoir sa revanche sur le conservateur qui expose une projection holographique de son père, condamné, à tort, à la chaise électrique. « Nous pouvons encore intervenir dans l’histoire, écrivent les auteurs. Nous avons la faculté, telle l’héroïne de l’épisode, de saboter les dispositifs qui gouvernent nos existences. » *Black Mirror et l’aurore numérique,