LE DESIGN.
Éditeur intrépide, il fut à l’origine de nombreux classiques du design italien. Entre production et mécénat, retour en quelques meubles ovnis sur une carrière audacieuse et novatrice.
Retour sur Dino Gavina, créateur et éditeur de pièces mythiques du design italien.
Personnellement, je ne me suis jamais trompé dans le choix de mes hommes. Je n’ai jamais voulu faire les choses de Mollino, de Ponti, de Nizzoli... C’était une décision instinctive qui s’est ensuite confirmée dans le temps [...] Même Le Corbusier n’a pas su dessiner un meuble pour l’industrie : figurez- vous que son fauteuil Grand Confort a 22 soudures faites à la main ! » Au début du catalogue (Jaca Book) qui accompagnait son exposition à la Fondazione Querini Stampalia de Venise en 1992, Dino Gavina ne mâchait pas ses mots. D’ailleurs, les pages suivantes corroboraient ses propos : Carlo Scarpa, les Castiglioni, Luigi Caccia Dominioni, Vico Magistretti, Ignazio Gardella, Enzo Mari, Marco Zanuso, Marcel Breuer... la liste des collaborations avec les grands noms de l’architecture et du design italiens donne un aperçu du flair enthousiaste qui a caractérisé la production de cet éditeur pour le moins éclectique. À ceux-là, on ajoutera ensuite les artistes Marcel Duchamp, Man Ray, Roberto Matta, Meret Oppenheim, moins habitués des collections de meubles... Rien d’étonnant : on sait que le jeune Dino venait plutôt du théâtre et des arts visuels quand son ami Lucio Fontana l’entraîna à Milan pour la Xe Triennale de 1953. À partir de ce moment, les collections vont s’enchaîner, suivant deux principes moteurs : sa fantaisie et son temps.
D’AUDACE EN AUDACE
Si la vague rationaliste laisse encore son empreinte rigoureuse sur les tables imaginées par Carlo Scarpa pour la gamme Ultrarazionale, Gavina saisit aussitôt le changement d’ambiance qui s’annonce en 1968. Dans les rues, la contestation gronde et rejette en bloc tous les académismes. Très bien, Gavina va leur en mettre plein la vue . Sa nouvelle folie s’appellera Ultramobile : « Lorsqu’il s’agissait d’envisager rationnellement la décoration d’une maison, l’architecte l’a toujours complétée avec un tableau, une sculpture, un objet qui renvoie à un monde de fantaisie et de miracle qui va au-delà du simple projet fonctionnel.
Aujourd’hui, le temps n’est plus aux tableaux ni aux sculptures ; Ultramobile n’est ni un tableau ni une sculpture, ce n’est même pas un meuble. Ultramobile, qui peut aussi être utilisé comme un meuble, est un objet de stupeur [...], une
aventure », peut-on lire dans la brochure de présentation. C’est onirique, c’est surréaliste : l’artiste Roberto Matta propose de s’asseoir sur une pomme géante coincée dans un chapeau melon à la Magritte, Man Ray préfère un oeil géant, tandis que Marion Baruch transforme une boule poilue géante en fauteuil. À côté des laques élégantes du designer japonais Kazuhide Takahama, des rééditions audacieuses donnent libre cours à la verve de l’ami des artistes qui n’hésite pas à reproduire le guéridon perché sur des pattes d’oiseau par Meret Oppenheim en 1936. Et pour ceux qui auraient encore eu à redire, lui reprochant des meubles pour bourgeois éclairés, Gavina rétorquera en 1974 avec les Metamobili en kit d’Enzo Mari.
UN ÉDITEUR PHILANTHROPE
Si l’homme n’était pas à court d’idées, celles-ci n’étaient pas autant de gageures. Traduite dans sa veine entrepreneuriale, cette créativité débordante cacherait davantage une sorte de mécène faiseur, animé par l’envie irrépressible de participer à l’aventure des avantgardes en lui apportant ce qu’il sait faire de mieux : produire. Signés Scarpa, Takahama ou Castiglioni, ses showrooms sont non seulement le terrain de jeux où Gavina pense la distribution comme une véritable installation conceptuelle, mais aussi les galeries d’un jour. Le temps d’exposer Fontana à Milan en 1963, puis Duchamp à Rome, jusqu’à lui dédier six ans plus tard un Centro Duchamp, inauguré par Man Ray à San Lazzaro di Savena, près de Bologne. En quelques années, les expérimentations les plus jouissives y verront le jour, du paravent aux fleurs futuristes, tirées des projets de Giacomo Balla, aux objets en bois de Charles Perry en passant par toutes les tendances cinétiques du moment imaginées par Julio Le Parc ou Gianni Colombo. Des divertissements érudits qui demeurent néanmoins des oeuvres d’art donc rares, à moins de fréquenter assidûment les salles de ventes comme Artcurial et Cambi ou de privilégier les rééditions de meubles. En boutiques, pas facile de retracer le parcours des rejetons de cette grande famille Gavina, aussi décomposée que recomposée. Chez Flos, entreprise cofondée avec Cesare Cassina en 1962, on trouve les premières lampes de Tobia Scarpa et des Castiglioni. Knoll a de son côté repris le cultissime fauteuil Wassily de Breuer ou le canapé Bastiano de Tobia Scarpa. On retrouve d’autres créations des Castiglioni chez Poltrona Frau (le fauteuil Sanluca) ou chez Meritalia (la chaise Lierna), et les Espagnols de Santa & Cole continuent d’éditer des modèles de Gardella et Magistretti quand l’italien Cassina a relancé la production des tables de Carlo Scarpa. Enfin, le designer français Pierre Gonalons s’apprête à prolonger la dernière aventure de Gavina,
Paradisoterrestre, en rééditant notamment le canapé Mantilla recouvert d’un nouveau tissu Pierre Frey conçu pour l’occasion en série limitée. Avis aux intéressés : il reste encore de beaux petits à adopter !