UNE COLLECTION D’EXCEPTION
Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris recèle des merveilles signées Jacques-Émile Ruhlmann, Eugène Printz, Pierre Chareau, André Arbus… Retour sur la naissance d’une collection d’objets et de mobilier des années 1920-1930 réunissant les plus grands
Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris possède l’un des plus beaux ensembles d’objets et de meubles d’arts décoratifs. Retour sur la naissance de cette collection.
PAR DOMINIQUE GAGNEUX, CONSERVATEUR EN CHEF AU MUSÉE D’ART MODERNE DE LA VILLE DE PARIS.
La collection de mobilier et d’objets d’art du musée d’Art moderne de la Ville de Paris provient en grande majorité d’acquisitions réalisées sur les crédits de l’Exposition internationale de 1937, la dernière d’une longue série d’expositions universelles organisées à Paris depuis le xixe siècle. L’esprit d’émulation entre les nations, qui a toujours régné dans ces manifestations, a pris un tour particulier dans le contexte préoccupant des années 1930. À l’intention des organisateurs de diffuser un idéal de progrès dans la paix et de réconcilier art et technique s’est ajoutée la volonté de soutenir les métiers d’art touchés par la perte de leur clientèle dans un contexte
de grave crise économique. « Ce ne sera pas l’un des moindres mérites de cette manifestation que d’avoir sorti une pléiade
d’artistes de valeur d’un marasme décourageant », écrivit le directeur des services d’architecture, témoignant d’un pragmatisme obligé. Pour soutenir ces industries, l’État et la Ville de Paris ont donc lancé des commandes bénéficiant à des centaines de peintres, de sculpteurs et de décorateurs.
Conçue à l’origine pour réitérer le succès de l’Exposition des Arts décoratifs et industriels de 1925, celle de 1937 abritait, parmi les trois cents pavillons se dressant « comme
des châteaux de contes de fée » dans les quartiers ouest de Paris, de nombreux bâtiments consacrés à la décoration : le Pavillon de l’architecture privée, la Maison d’une famille française, ou encore le Pavillon de la Société des artistes décorateurs construit par Pierre Patout, exposaient des intérieurs remarqués. Le Centre des métiers, considéré comme très réussi, présentait les plus belles réalisations de céramistes, verriers, orfèvres ou ébénistes, tandis que le Pavillon de l’artisanat vantait le travail « fait à la main ».
UN ÉCRIN POUR LES ARTS DÉCORATIFS
Inscrite depuis 1934 dans le programme de l’Exposition, la construction d’un bâtiment double pour abriter les collections d’art moderne de l’État et de la Ville allait enfin donner à Paris, non pas un, mais deux musées dignes de la capitale de l’avant-garde. L’art décoratif devant jouer un rôle prédominant dans le second, les achats de pièces de mobilier et d’objets effectués par la municipalité ont été nombreux – les commandes concernant parfois →
des vitrines entières – et d’une très grande qualité. Pour l’occasion, les créateurs ont livré des oeuvres prestigieuses, élargissant le répertoire des formes, retrouvant des recettes oubliées, rivalisant d’inventivité.
Les acquisitions de l’administration ont principalement porté sur les créations relevant de la tendance classique diffusée au sein de la Société des artistes décorateurs, et beaucoup moins sur celles des représentants de l’esprit rationaliste. Ces choix sont révélateurs de la concurrence, déclarée à la fin des années 1920, entre les adeptes d’un style international, militant pour la production en série, et les tenants de l’ébénisterie traditionnelle. Ardents défenseurs du luxe, ces derniers réaffirmaient une « poésie
de l’ornement » et excellaient dans l’utilisation de matériaux rares et précieux comme l’ébène de Macassar, l’acajou de Cuba ou le palissandre de Rio. Fidèles à un souci de renouvellement et d’expérimentation, ils ont intégré dans des formes traditionnelles réinterprétées des matériaux sophistiqués (écaille, galuchat, parchemin ou laque). La Ville de Paris procéda à plusieurs acquisitions d’objets phare de grands noms de l’ébénisterie alors récemment disparus comme Jacques-Émile Ruhlmann ( mort en 1933), tout en soutenant la jeune création incarnée par André Arbus avec ses ensembles inspirés du style Louis XVI, ou Eugène Printz dont les meubles d’appui allient esprit baroque et exotisme. Plus rares ont été les acquisitions d’objets des membres de l’Union des artistes modernes, à l’exemple des meubles de Pierre Chareau, qui se caractérisent par leur ligne architecturale et leur simplicité ornementale.
La collection du musée se trouve bien à la confluence des différents courants de la décennie : assimilation des formes de l’avant-garde héritées de 1925, intégration de motifs et de matériaux extra-européens vivifiés par l’Exposition coloniale de 1931, tendance néoclassique des décors de paquebots, pour créer « le style 1937 » attendu par beaucoup et qui allait surgir à l’occasion de l’Exposition. à lire : Collection Art déco, Musée d’Art moderne, par Dominique Gagneux, collection « Petites Capitales », éditions Paris Musées.