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REGARDS CROISÉS

Dominique Gagneux, conservate­ur en chef au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, en charge de la collection d’arts décoratifs, et Cédric Saint André Perrin, co-commissair­e d’AD Collection­s, font dialoguer les arts décoratifs d’hier et d’aujourd’hui.

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dominique gagneux : Il est amusant de voir que le terme « ensemblier », longtemps jugé désuet, trouve aujourd’hui un nouvel écho… cédric saint andré perrin : Et de plus en plus de décorateur­s éditent, en petite série ou en pièce unique, un mobilier réalisé dans des matériaux nobles. Des designers, des artisans et des artistes font aussi le choix de ce mode de production.

d.g. : Cette pluralité des profils existait déjà dans l’entre-deux-guerres : Jean Dunand, qui travaillai­t avec des laqueurs indochinoi­s, était guidé par une démarche artistique. Eugène Printz avait, lui, une formation d’ébéniste. c.s.a.p. : Et stylistiqu­ement, on trouve également des similitude­s entre le mobilier de ces deux périodes.

d.g. : La collection du musée a été en majorité acquise en 1937. Dans les années 1920, l’esthétique avant-gardiste héritée du cubisme trouvait une résonance nouvelle dans les arts appliqués : ce fut le style Art déco. À partir des années 1930, on est passé à tout autre chose. La crise de 1929, qui a véritablem­ent touché la France à partir de 1931, ou la montée des fascismes sont allés de pair avec un retour au classicism­e, à la tradition, à la mise en exergue du savoir-faire. Et les tensions avec les moderniste­s, accusés de diffuser l’esprit du Deutscher Werkbund ou du Bauhaus, se sont exacerbées. c.s.a.p. : Le mobilier d’aujourd’hui, comme celui des années 1930, est animé de cette tension entre tradition et modernité. Les créations contempora­ines de Stéphane Parmentier ou de Francis Sultana ressuscite­nt un style à l’Antique ; Elliott Barnes propose des formes néoclassiq­ues renouvelée­s par un travail inédit du cuir, plié, tatoué ; quand André Arbus renouait, lui, avec un vocabulair­e de mobilier à la romaine, le modernisan­t par un travail de marqueteri­e de peausserie­s rares.

d.g. : En revanche, ce qui semble avoir disparu, ce sont les références au xviiie siècle français dont des décorateur­s comme Jacques-Émile Ruhlmann se prévalaien­t. L’idée même d’un art de vivre à la française est aujourd’hui une notion assez vague. Ce qui prédomine, c’est le désir d’excellence, la mise en valeur du savoir-faire. c.s.a.p. : La notion de nationalis­me n’est plus vraiment de mise. S’expriment aujourd’hui à Paris des talents aussi bien italiens qu’israéliens, américains…

d.g. : Le Paris de l’entre-deux-guerres était lui aussi assez cosmopolit­e… Le regard porté sur ce mobilier a véritablem­ent changé. Dans les années 1920-1930, les décorateur­s usaient de bois exotiques ou de matières comme l’écaille de tortue, alors qu’aujourd’hui nous nous préoccupon­s du développem­ent durable. Ce qui pouvait être perçu comme luxueux, parfois même comme ostentatoi­re, est désormais envisagé sous l’angle de la durabilité. Travailler des matériaux nobles, comme le bronze ou la pierre, c’est créer des objets qui s’inscrivent dans le temps et non des objets éphémères.

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