La découverte
Dans les années 1960, le décorateur Maxime Old est chargé d’aménager l’hôtel de ville et la halle aux Toiles de Rouen. Modernes, précieux, inventifs, ses décors passent pourtant aujourd’hui inaperçus... Visite, en guise de piqûre de rappel, d’un patrimoin
Dans les années 1960, l’architecte et designer Maxime Old fait souffler un esprit nouveau sur Rouen. Un travail rare et original que l’on découvre en poussant les portes de certains bâtiments officiels de la cité normande.
De Rouen, nous ne savions rien. Ou si peu. À peine quelques clichés, à commencer par celui lancé par Victor Hugo, « la ville aux cent clo
chers » , dont ceux de la cathédrale. Cette célèbre cathédrale peinte par Monet et Turner, bien avant que les son et lumière n’envahissent sa façade pour alimenter les marchands de cartes postales. Et puis la ville nous avait aussi laissé un goût amer à travers Flaubert : elle n’avait pas réussi à sauver Emma Bovary de la monotonie de sa vie. De quoi sceller notre destin avec elle. Mais peut-être avions-nous tout faux, après tout, peut-être qu’à l’ombre de ces sentiers touristiques se cachaient tout de même quelques trésors.
Voilà comment nous nous sommes retrouvés un jour d’été à Rouen, la photo d’un décor en noir et blanc en main, et à l’esprit, le témoignage d’un fils aimant sur l’oeuvre de son père, Maxime Old.
Du décorateur parisien, nous avions entendu le nom cité à de nombreuses reprises, nous avions lu qu’il avait été élève à l’école Boulle avant d’intégrer l’agence de Jacques-Émile Ruhlmann en tant que dessinateur. Ces deux expériences lui avaient permis d’acquérir toutes les connaissances techniques nécessaires, mais la seconde lui avait donné le goût du raffinement et de la perfection au point qu’il pouvait, dit-on, passer une semaine entière sur le dessin du galbe d’une chaise. C’est à cette époque que le jeune homme prit son envol, sous la bienveillance de son aîné qui lui confia alors d’importants
projets, comme celui des appartements du paquebot l’Atlantique, en 1931. À la mort de son mentor, en 1933, Maxime Old n’a que 23 ans, une vie devant lui, l’atelier d’ébénisterie familial à reprendre, et dans son carnet d’adresses la clientèle de celui qui lui a tout enseigné.
Entre artisanat d’art et design fonctionnel
Palissandre des Indes, ébène de Macassar, acajou de Cuba, galuchat... À la mesure des paysages qui mènent à Rouen, les noms exotiques défilent sur les pages de la monographie consacrée au décorateur parisien comme autant d’invitations au voyage, révélant la variété des matières et des essences qu’il utilisait pour sa production mobilière, à laquelle il va désormais se consacrer. En 1935, il présente ses premiers modèles lors du Salon des Artistes Décorateurs, auquel il ne cessera de participer jusqu’en 1960.
Cette vitrine du savoir-faire français et du mobilier de luxe va lui offrir une formidable visibilité, dans laquelle, à travers la mise en scène de ses meubles, il va aussi révéler ses qualités de décorateur, ouvrant dès lors son carnet à la commande, et son style à une clientèle de plus en plus importante et toujours plus fidèle.
Maxime Old incarnait parfaitement son époque, se situant à la jonction de différents styles que beaucoup opposaient, mais qui l’auront finalement tous influencé. Il observera en effet avec intérêt le Bauhaus, tandis que l’Art déco apportera les fondations à son style. Parallèlement à cela, il assistera à la naissance de l’Union des artistes modernes (UAM) sous l’impulsion de Robert Mallet-Stevens et de quelques acteurs comme René Herbst ou Charlotte Perriand, désireux de s’émanciper de toute notion décorative pour privilégier la fonction et l’utilisation de matériaux plus adaptés à une vie moderne. Un virage radical qui ne sera pas sans influencer sa manière de concevoir.
Amoureux des formes pures, Maxime Old sera de plus en plus attentif aux matières émergentes, et toujours plus soucieux des qualités fonctionnelles d’un meuble. La légende dit d’ailleurs que Charlotte Perriand, admirative du travail d’exécution de ses meubles, serait venue le voir pour qu’il travaille sur ses projets. Mais Maxime Old avait le vent en poupe et bien trop à faire avec les siens, qui étaient en train de changer d’échelle, pour s’occuper de ceux des autres.
Réinventer Rouen
À l’aube des années 1960, il va peu à peu délaisser les chantiers privés et se mettre à l’aménagement d’hôtels de luxe à l’étranger comme d’ambassades de France plus ou moins lointaines, du Ghana à la Norvège. Il y aura également l’aérogare de Marseille-Marignane et le paquebot France… des projets de plus
en plus prestigieux pour un homme qui restera un éternel discret. C’est à cette époque que Rouen s’inscrit dans sa trajectoire. En 1960, les architectes Henri Jullien et Raymond Barbé lui confient l’aménagement de la halle aux Toiles, une salle des fêtes pour laquelle il dessinera des banquettes et des fauteuils en chêne, des chaises en acajou, des guéridons en métal et verre et des grandes tables d’apparat, faisant apparaître ce qui deviendra l’une de ses signatures : le piètement en X. Pour ce bâtiment historique de la grande ville normande, il concevra aussi l’éclairage, imaginera des extracteurs de fumée interprétés comme des sculptures sous la voute de la grande salle, et habillera certains murs de merisier, certaines lignes de laiton, et certains détails de couleurs.
Quand l’usure et l’oubli gagnent…
Au même moment, un de ses clients, docteur à Rouen et adjoint au maire en charge de la culture et du patrimoine, souffle son nom pour apporter un peu de confort et de modernité à l’hôtel de ville, dont l’intérieur est resté inchangé depuis la fin du xixe. Le 2 avril 1962, son projet d’aménagement pour la salle du conseil municipal, les salles de commissions attenantes et la grande galerie du premier étage est choisi. Panneaux de palissandre rehaussés de filets de laiton, marqueterie de mélaminé, claustra de fer forgé, boiseries éclairantes, piètements en X et effets de bois précieux se dérouleront sous un monumental plafond composé de panneaux en métal perforé montés sur des portiques. Il réalisera là l’un de ses décors les plus spectaculaires, pour lequel, entre la commande et l’inauguration, trois années de travaux furent nécessaires.
Des années, cinquante-quatre précisément, se sont écoulées depuis, durant lesquelles l’estrade de la salle du conseil municipal a vu défiler sept maires, et bien plus d’élus municipaux encore. Aujourd’hui, certains se plaignent du grincement que font les ressorts des chaises, d’autres disent s’émerveiller du décor à chaque assemblée. Un jour, la voix des premiers, accompagnée par l’arrivée de nouvelles normes, portera plus haut que celles des derniers, et l’oeuvre de Maxime Old disparaîtra sous les leds et les faux plafonds, tandis qu’une poignée de galeristes parisiens se disputeront les pièces de mobilier.
« Terminus du train, tous les voyageurs sont invités
à descendre. » Voilà comment nous nous sommes retrouvés un jour d’été à Rouen. Pour voir au moins une fois ces décors, en ressentir l’échelle, toucher à la qualité des matériaux, observer ces lignes parfaites, balayer les clichés que l’on avait sur la ville et voyager au coeur des années 1960, goûter un instant à cette atmosphère, avant que ce chapitre-là ne se referme. p à lire : Maxime Old, architecte et décorateur, par Yves Badetz, éditions Norma. à visiter : l’hôtel de ville de Rouen, 2, place du Général-de-Gaulle et la halle aux Toiles, place de la Basse-Vieille-Tour, 76000 Rouen. rouen.fr