Ode à l’ornement
Sur les hauteurs du IXe arrondissement de Paris, dans son appartement, le dessinateur PIERRE MARIE bouscule avec allégresse les codes de la décoration, remettant le motif à l’honneur, en mille et une couleurs.
Le dessinateur Pierre Marie, pour son propre appartement, bouscule joyeusement les codes de la décoration actuelle. Une explosion en all over de couleurs et de motifs XXL.
L’art de faire voler en éclats et en couleurs le « bon goût » de sa génération avec ses dégradés de blancs et ses touches scandinaves. SOUS L’ESCALIER, trouvé tel quel dans l’appartement, un coffre en bois dessiné par Pierre Marie. La table de Joseph Hoffmann est recouverte d’un tissu signé Pierre Marie (Créations Métaphores). La lampe en bois peint, revisitée avec un abat-jour et des passementeries de Pierre Marie, date des années 1940.
L’univers de Pierre Marie ressemble à une singulière carte aux trésors. Parce qu’il est né doux rêveur avant d’emprunter, toujours un pied dans l’enfance, le costume de dessinateur, contant des fantaisies pour lui-même ou pour les autres. De ses dessins, on a vu s’échapper des hippocampes dansant ou des poissons fumant la pipe avant qu’ils ne soient imprimés sur des carrés Hermès. Depuis, ses personnages et les métiers de la célèbre maison ne cessent de se croiser sur des morceaux de soie, tandis que ses motifs se déploient sur des chemises de la marque A.P.C et des bougies Diptyque. Et puis il y a ses histoires plus personnelles, qui traversent les mediums et les aplats vers une autre dimension, ouvrant le champ de tous les possibles en matière de création. On l’a ainsi surpris dessinant deux tapis pour la très milanaise galerie Nilufar, et plus récemment un centre de table tout en marqueterie de pierres dures. Le plaisir de raconter des histoires
Mais c’est en janvier dernier, à travers sa carte de voeux, qu’il a scellé les contours de sa nouvelle carte aux trésors. Plus que des indices, on y voyait des éléments décoratifs, du mobilier et des luminaires, comme un faire-part annonçant son dernier projet : l’aménagement d’un ancien atelier d’artiste situé sur les hauteurs du IXe arrondissement. « Je vivais jusque-là dans un petit espace où je ne pouvais raconter qu’une seule histoire. J’avais envie d’écrire plusieurs chapitres, guidés par un seul fil : mes tapis, leurs motifs, leurs couleurs, comme des graines que j’aurais plantées avant de demander aux architectes Le Coadic-Scotto de m’aider à créer la boîte parfaite pour les abriter. » Des graines qui virevoltent au sol de couleur en couleur, du noir au corail d’un soleil qui brûle avant de disparaître pour laisser place à des tons d’ébène, de pourpre, entrecoupés de notes plus douces, comme des ciels couchants oscillant entre le bleu et le rose pâle et qui ont effectivement donné la note à l’ensemble de la partition. « C’est une gamme opulente, baroque, une construction minutieuse qui n’a laissé aucune part à l’improvisation. J’ai prolongé le bleu sur les murs, le marron sur le sol, tandis que le noir vient habiller toutes les parties techniques, comme les portes, les plinthes, la robinetterie… » faisant au passage voler en éclats le bon goût que prône sa génération, née dans les années 1980, et bercée depuis par des dégradés de blancs ponctués de touches de bois scandinave.
Se perdre dans les motifs
Car ce qui se déroule sous la verrière de ce duplex parisien est bien loin des redites ou des références appuyées. Sous le regard bienveillant de ses deux architectes, Yann Le Coadic et Alessandro Scotto donc, Pierre Marie s’est amusé avec son propre goût, l’a chahuté, explorant sans cesse du côté de la fantaisie, parfois du folklore, tout en conviant à ses côtés des savoir-faire délaissés. Des vitraux qu’il a dessinés, assemblés par les Ateliers Duchemin et qui habillent les fenêtres de sa chambre et de sa salle de bains, à son projet de tapisserie réalisée par la Manufacture d’Aubusson Robert Four, qui viendra dans quelques mois remplacer le dessin au mur de la salle à manger, tout ici souligne l’attachement du dessinateur à la narration, mais aussi à l’ornement. Ce même ornement que l’architecte viennois Adolf Loos a combattu, à l’aube du xxe siècle, pour lui ôter la moindre valeur, et que plusieurs générations semblaient avoir fait disparaître derrière des concepts et des idées. Ici, il évolue en majesté, comme une obsession découverte aux portes de l’âge adulte dans les galeries du musée national archéologique d’Athènes : « J’ai réalisé que l’homme s’était toujours entouré d’objets et de décors peuplés d’histoires et d’ornements. Cela semble évident, mais à une époque où la forme suit la fonction et où l’on récompense le concept avant tout, cela m’est apparu comme une sorte d’épiphanie. » « Un objet est semblable à un idéogramme. Plus on l’observe, plus il perd de son sens. Il ne reste alors que ses qualités esthétiques. Ce sont elles qui lui font traverser les années. C’est une transmission par la beauté plus que par la fonction », poursuit-il. Son crayon s’est ainsi échappé de la feuille blanche pour donner forme à des silhouettes mobilières. Tables, consoles, cheminée, lampes, chevets, quand ils ne sont pas sortis de son imaginaire, sont habillés de la collection de tissus qu’il vient d’éditer avec Créations Métaphores ; tous font écho aux motifs qui se déploient sur les murs de son appartement, par l’intermédiaire de panneaux décoratifs. « C’est un peu new age, à force de les contempler, on se perd, on s’oublie, on rentre en méditation. » Un all-over qui revêt de nouveaux motifs à chaque saison, multipliant les clins d’oeil aux décors psychédéliques du cinéma italien des années 1970 sous le ciel de ce morceau de Paris teinté d’Art nouveau. L’ornement ne serait donc pas mort. Il est même de retour... Vive l’ornement ! p