Un loft à l’esprit précieux
Au pied de la butte Montmartre, l’architecte d’intérieur TRISTAN AUER a imaginé, pour lui et sa famille, un audacieux duplex où cohabitent dans une étrange douceur références vintage, créations personnelles et sculptures néoclassiques françaises.
« J’aime les lieux architecturés qui cadrent des choses plus destructurées et plus libres.» ——— Tristan Auer
Prenez sur la droite, au carrefour Blanche, avancez cinq cents mètres dans la ruelle pavée, puis tournez à gauche : vous êtes arrivé. Tristan Auer vit dans un ancien parking des années 1930 rénové en habitation. Ce bâtiment industriel à la façade Art Déco qui servit de décor au film Diva de Jean-Jacques Beineix est depuis plusieurs années le lieu de vie du créateur. « Je suis dans cet immeuble depuis 2005, explique-t-il. J’ai longtemps vécu au rez-de-chaussée, mais je manquais de lumière. J’ai eu la chance de trouver à la même adresse cet appartement en étage, doté de larges baies vitrées donnant sur la cour d’une école et le dôme du Sacré-Coeur. L’endroit ne manque pas de charme. »
Celui qui fit ses gammes auprès de Christian Liaigre et Philippe Starck avant de fonder en 2002 son agence Izeu réside donc depuis quelques mois, avec sa femme Isabelle et ses deux fils, Colin et Maleville, dans un étonnant penthouse de 180 m2 entièrement repensé par ses soins. « J’envisage ma maison comme un terrain d’expérimentation, une sorte de laboratoire d’idées. J’ai conçu l’espace sans définir de plans préliminaires, mais en réalisant, petit à petit, le soir, des croquis que je donnais aux entrepreneurs le lendemain matin. » Si l’agencement des lieux s’avère libre et fluide, répondant à un mode de vie décontracté, Tristan Auer ponctue néanmoins l’appartement de détails architecturaux, graphiques et percutants. Ici, une superposition de blocs de fonte d’aluminium, patine ferrée et travertin brossé pour le bar de la cuisine, là une composition de cèdre sablé et de marbre pour la vasque de la salle de bains. La gamme de couleur volontairement restreinte – noir, gris, blanc et crème – sert au décorateur à unifier une sélection d’objets a priori hétéroclites. Le long des murs du living, un immense panneautage de soierie florale aux raccords aléatoires lui permet d’accrocher une surprenante collection : « La coiffe précolombienne me ramène à l’appartement d’un collectionneur d’art tribal que j’ai réalisé à New York, les oeuvres de Carlo Mollino ou de Gianni Bertini à d’autres clients. Chaque élément m’évoque des moments clés de ma vie professionnelle. » Ainsi aussi, le canapé en velours gris du salon a été dessiné pour l’hôtel Les Bains, à Paris, et on retrouve un cartel de son décor pour l’exposition AD Intérieurs 2016 sur une étagère. Dans le salon, comme dans la chambre, sont placées des sculptures monumentales de Gérard Choain (1906-1988), artiste néoclassique dans la lignée de Charles Despiau, à qui l’on doit nombre de monuments aux morts. « J’ai découvert son travail chez un antiquaire qui venait de récupérer le fonds de son atelier, il possédait huit statues que j’ai toutes achetées. Je suis tombé amoureux de son travail. » Des statues mortuaires dans une chambre... l’effet est saisissant. Dans le dressing, Tristan Auer a placé une photo d’un essai nucléaire à Mururoa... Il émane de cet intérieur une forme d’harmonie déroutante. L’architecte se livre à d’audacieuses recherches stylistiques. « D’une façon générale, je suis assez touché par les choses sur le fil, à la limite entre la grâce et la catastrophe. Comme Pierre Boulez pour
la musique, je ne crains pas les grincements. » Structurellement, l’appartement est divisé en plusieurs zones et différentes ambiances. Le plateau du haut, dédié à la vie sociale, accueille un vaste living avec coin salle à manger relié à la cuisine, certes ouverte mais dont les éléments de cuisson et autres rangements sont élégamment masqués par une pergola. À l’étage inférieur, consacré à la vie de famille, sont disposées trois chambres, deux salles de bains et une
family room invitant à visionner des films, lire des bandes dessinées, écouter et jouer de la musique ou à des jeux vidéo.
De belles cylindrées au look parfait
Au parking du sous-sol dorment les bolides. Tristan Auer collectionne en effet les voitures de collection : une Delage, une Alvis, une Aston-Martin, une Ferrari, une Porsche et même une Autobianchi Abarth dont il a fait retapisser de cuir les sièges qui étaient à l’origine en Skaï. Au sein de Tristan Auer Car Tailoring, il s’emploie à personnaliser l’intérieur de belles cylindrées, comme on peut le faire pour un yacht ou un jet. De l’habillage des sièges à celui du plafond en passant par l’intérieur des vide-poches, parfois même jusqu’aux bagages à placer dans le coffre, il conçoit des aménagements sur mesure développés avec les meilleurs artisans. Est-ce donc un hasard s’il vit dans un ancien garage ? Pas certain. p