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Accords majeurs

Dans ses films comme dans sa vie, le réalisateu­r Luca Guadagnino porte une attention particuliè­re aux décors. Son appartemen­t, dans un palazzo du vxiie, démontre son talent à faire se rencontrer couleurs, meubles et époques, en harmonie.

- Dana Thomas TEXTE Mikael Olsson PHOTOS

Réalisateu­r à la ville, Luca Guadagnino sait aussi mettre en scène son cadre quotidien. Visite de son appartemen­t, dans un ancien palazzo lombard.

J’aime tout ce qui a à voir avec la forme et l’espace », affirme Luca Guadagnino, réalisateu­r des films Amore (2009), A Bigger Splash (2015) et Call Me by Your Name, qui sort en France ces jours-ci. « Mais je suis aussi un humaniste, qui aime ses personnage­s. » Ce qu’il recherche avant tout, complète son amie et fréquente collaborat­rice, l’actrice Tilda Swinton, c’est quelque chose de « vital, passionné et incontrôla­ble ». On ressent ces aspiration­s chez lui, où chaque pièce semble raconter une histoire – de la même façon que ses décors, au cinéma, révèlent ses personnage­s. Simple et spectacula­ire, parfait et imparfait : ici, l’harmonie émerge des contrastes et des rencontres inédites, comme celle de ces chaises danoises du xxe siècle sur fond de portes ornées dans le style baroque lombard.

Carreaux cassés et pigeons morts

« Je rêverais d’être architecte d’intérieur, plaisante (à moitié) Luca Guadagnino. J’adorerais décorer des maisons pour de riches clients qui auraient les moyens de faire les choses bien. » Sa meilleure carte de visite pourrait bien être son appartemen­t de 300 m2 situé au deuxième étage d’un palazzo du xviie au coeur de Crema, une petite ville située à 40 minutes de Milan. Lorsque le réalisateu­r l’a acheté il y a quelques années, il était abandonné depuis quarante ans,

depuis la mort de la comtesse qui y vivait. Il n’était que « carreaux cassés, pigeons morts et papiers peints moisis », raconte l’intéressé. Pendant les travaux, qui ont duré six mois, Luca Guadagnino passait tous les jours sur le chantier, « pour diriger les ouvriers – après tout, diriger, c’est mon métier », ajoute-t-il avec un sourire. Sous les nombreuses couches de papier peint et de peinture, il découvre alors d’authentiqu­es fresques et, sous les carreaux de ciment, des tommettes anciennes. Il travaille avec les peintres au dosage des pigments pour trouver la bonne tonalité dans chaque pièce, essayant jusqu’à quatre tons différents pour la salle à manger, du vert bouteille jusqu’au gris ardoise. Les boiseries du salon ont été enduites d’un marine qui, suivant la lumière, peut sembler noir. « La chambre a été facile, s’amuse-t-il : je mangeais une datte, d’un marron somptueux, et j’ai dit au peintre d’en reproduire exactement la couleur. » Dans un bureau qui sert aussi de chambre d’amis, il écrit ses scénarios à l’une des deux tables placées côte à côte ; son compagnon, également réalisateu­r, s’installe sur la seconde. En fait, c’est presque l’immeuble entier qui a été transformé en bureaux, au fur et à mesure que Luca Guadagnino y achetait d’autres appartemen­ts. Son équipe de production travaille au rez-de-chaussée, et il monte ses films dans un studio juste au-dessus. Les portes ont toujours l’air ouvertes, amis et assistants entrent et sortent, « c’est un endroit propice à la création », affirme le réalisateu­r.

Un mobilier trié sur le volet

Amore, tourné dans la villa Necchi de l’architecte milanais Piero Portaluppi, fait de cette dernière une star à part entière. Portaluppi était un perfection­niste obsessionn­el, comme Guadagnino d’ailleurs. « Nous n’avons pas de tables de chevet dans notre chambre parce que je n’en trouve pas qui me plaise, raconte-t-il. Mon compagnon me déteste ! » En revanche, pour sa cuisine, le réalisateu­r a déniché à Gênes une pierre d’évier de poissonnie­r ainsi que, dans un village voisin, une table de laiterie. Les étagères sont pleines de livres de cuisine du monde entier. « J’aime recevoir, et souvent », commente-t-il. Lors de ces dîners – organisés dans la loggia qui court sur toute la longueur de l’appartemen­t –, c’est généraleme­nt le réalisateu­r qui fait la cuisine, mais il convie parfois son ami le chef triplement étoilé Niko Romito à régaler ses invités. Dans un coin de la loggia s’empilent des livres de jardinage, preuves d’une autre passion de Luca Guadagnino. Avec un regard vers le vieux prunier tordu qui pousse dans la cour du palazzo, il soupire. « Ma prochaine maison aura un jardin. » Traduction et adaptation de l’anglais Marion Bley.

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DANS LA LOGGIA qui court sur la longueur de l’appartemen­t, les fenêtres apportent une lumière abondante aux plantes exotiques de ce lieu propice à la création.
 ??  ?? DANS LA SALLE À MANGER, des lithograph­ies du naturalist­e britanniqu­e du xixe siècle John Gould trônent au- dessus d’un canapé Knoll tapissé de cachemire (Loro Piana), entre deux bougeoirs d’église montés en lampadaire­s. Chaises d’Enzo Mari (Hermès),...
DANS LA SALLE À MANGER, des lithograph­ies du naturalist­e britanniqu­e du xixe siècle John Gould trônent au- dessus d’un canapé Knoll tapissé de cachemire (Loro Piana), entre deux bougeoirs d’église montés en lampadaire­s. Chaises d’Enzo Mari (Hermès),...
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 ??  ?? DANS LA SALLE À MANGER, une table ovale magistrale occupe l’espace. Les teintes des murs répondent aux fresques d’origine des portes. Verres (Hermès).
DANS LA SALLE À MANGER, une table ovale magistrale occupe l’espace. Les teintes des murs répondent aux fresques d’origine des portes. Verres (Hermès).

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