Accords majeurs
Dans ses films comme dans sa vie, le réalisateur Luca Guadagnino porte une attention particulière aux décors. Son appartement, dans un palazzo du vxiie, démontre son talent à faire se rencontrer couleurs, meubles et époques, en harmonie.
Réalisateur à la ville, Luca Guadagnino sait aussi mettre en scène son cadre quotidien. Visite de son appartement, dans un ancien palazzo lombard.
J’aime tout ce qui a à voir avec la forme et l’espace », affirme Luca Guadagnino, réalisateur des films Amore (2009), A Bigger Splash (2015) et Call Me by Your Name, qui sort en France ces jours-ci. « Mais je suis aussi un humaniste, qui aime ses personnages. » Ce qu’il recherche avant tout, complète son amie et fréquente collaboratrice, l’actrice Tilda Swinton, c’est quelque chose de « vital, passionné et incontrôlable ». On ressent ces aspirations chez lui, où chaque pièce semble raconter une histoire – de la même façon que ses décors, au cinéma, révèlent ses personnages. Simple et spectaculaire, parfait et imparfait : ici, l’harmonie émerge des contrastes et des rencontres inédites, comme celle de ces chaises danoises du xxe siècle sur fond de portes ornées dans le style baroque lombard.
Carreaux cassés et pigeons morts
« Je rêverais d’être architecte d’intérieur, plaisante (à moitié) Luca Guadagnino. J’adorerais décorer des maisons pour de riches clients qui auraient les moyens de faire les choses bien. » Sa meilleure carte de visite pourrait bien être son appartement de 300 m2 situé au deuxième étage d’un palazzo du xviie au coeur de Crema, une petite ville située à 40 minutes de Milan. Lorsque le réalisateur l’a acheté il y a quelques années, il était abandonné depuis quarante ans,
depuis la mort de la comtesse qui y vivait. Il n’était que « carreaux cassés, pigeons morts et papiers peints moisis », raconte l’intéressé. Pendant les travaux, qui ont duré six mois, Luca Guadagnino passait tous les jours sur le chantier, « pour diriger les ouvriers – après tout, diriger, c’est mon métier », ajoute-t-il avec un sourire. Sous les nombreuses couches de papier peint et de peinture, il découvre alors d’authentiques fresques et, sous les carreaux de ciment, des tommettes anciennes. Il travaille avec les peintres au dosage des pigments pour trouver la bonne tonalité dans chaque pièce, essayant jusqu’à quatre tons différents pour la salle à manger, du vert bouteille jusqu’au gris ardoise. Les boiseries du salon ont été enduites d’un marine qui, suivant la lumière, peut sembler noir. « La chambre a été facile, s’amuse-t-il : je mangeais une datte, d’un marron somptueux, et j’ai dit au peintre d’en reproduire exactement la couleur. » Dans un bureau qui sert aussi de chambre d’amis, il écrit ses scénarios à l’une des deux tables placées côte à côte ; son compagnon, également réalisateur, s’installe sur la seconde. En fait, c’est presque l’immeuble entier qui a été transformé en bureaux, au fur et à mesure que Luca Guadagnino y achetait d’autres appartements. Son équipe de production travaille au rez-de-chaussée, et il monte ses films dans un studio juste au-dessus. Les portes ont toujours l’air ouvertes, amis et assistants entrent et sortent, « c’est un endroit propice à la création », affirme le réalisateur.
Un mobilier trié sur le volet
Amore, tourné dans la villa Necchi de l’architecte milanais Piero Portaluppi, fait de cette dernière une star à part entière. Portaluppi était un perfectionniste obsessionnel, comme Guadagnino d’ailleurs. « Nous n’avons pas de tables de chevet dans notre chambre parce que je n’en trouve pas qui me plaise, raconte-t-il. Mon compagnon me déteste ! » En revanche, pour sa cuisine, le réalisateur a déniché à Gênes une pierre d’évier de poissonnier ainsi que, dans un village voisin, une table de laiterie. Les étagères sont pleines de livres de cuisine du monde entier. « J’aime recevoir, et souvent », commente-t-il. Lors de ces dîners – organisés dans la loggia qui court sur toute la longueur de l’appartement –, c’est généralement le réalisateur qui fait la cuisine, mais il convie parfois son ami le chef triplement étoilé Niko Romito à régaler ses invités. Dans un coin de la loggia s’empilent des livres de jardinage, preuves d’une autre passion de Luca Guadagnino. Avec un regard vers le vieux prunier tordu qui pousse dans la cour du palazzo, il soupire. « Ma prochaine maison aura un jardin. » Traduction et adaptation de l’anglais Marion Bley.