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Révolution de palais

Dans un éblouissan­t mélange de baroque et de contempora­in, le décorateur Francis Sultana fait sien un palazzo du xvie siècle.

- Simon Upton PHOTOS Gianluca Longo TEXTE ET RÉALISATIO­N

À Malte, le décorateur Francis Sultana fait sien un palazzo du xvie siècle dans un éblouissan­t mélange de baroque et de contempora­in.

La Valette, une ville de palais construits par des gentlemen pour des gentlemen. » C’est ainsi que Benjamin Disraeli, Premier ministre du Royaume-Uni, décrit la capitale de Malte lors de sa visite en 1830. C’est justement l’une de ces demeures que Francis Sultana acquiert il y a douze ans afin d’en faire son havre de paix. « Dès que David [Gill, galeriste et compagnon de Francis] et moi avons vu la maison, j’ai su exactement ce qui devait être restauré, remplacé ou ajouté » avoue le décorateur londonien. « La maison demeurait inoccupée depuis la Seconde Guerre mondiale, époque où la ville fut la cible de violents bombardeme­nts. Elle conservait certains de ses détails baroques et j’ai été frappé par la présence d’une cour, une chose inhabituel­le dans cette cité fortifiée où la terre est une denrée rare. » Très vite, il soumet des demandes d’aménagemen­t – La Valette est classée au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1980 –, consulte des architecte­s et recrute des artisans locaux afin de redonner tout son lustre au palais. Il décide aussi de le faire entrer dans notre époque, en installant un ascenseur et en créant une piscine dans les vastes sous-sols voûtés.

« Je voulais trouver le juste équilibre entre tradition et modernité, tant dans la rénovation que la décoration » , explique Francis Sultana. Originaire de Gozo, l’une des trois îles qui constituen­t l’archipel maltais, l’architecte d’intérieur a un profond respect des traditions.

« Quand j’étais enfant, La Valette était quasiment une ville fantôme, personne ne voulait y vivre, les maisons ont trop d’escaliers et les rues sont trop étroites, poursuit-il avec un sourire. Mais j’ai toujours été fasciné par ses palais aux magnifique­s façades en pierre calcaire agrémentée­s de leurs balcons verts. »

Une ancienne garçonnièr­e

C’est donc avec, en tête, des images de Venise et Hydra que l’architecte repense le style de son palais. Il installe des banquettes basses dans la plupart des chambres et mise plus que tout sur le mélange des tissus – beaucoup d’ikat et de damas – qui apportent une touche d’orientalis­me dans cet univers baroque. La vaste collection d’art du couple apporte à l’ensemble une note plus contempora­ine. L’entrée principale ouvre sur une cour au sol de marbre entièremen­t refait, dont l’espace est occupé par un palmier et un puits d’origine surmonté des armoiries familiales de Francesco de Torres, le chevalier qui a construit le palais. Le rez-de-chaussée, jadis réservé au personnel, comprend aujourd’hui un salon orientalis­te accueillan­t un vaste canapé en L recouvert d’un tissu Dedar, et une salle de petit déjeuner aux murs bleu pâle. Cette dernière, meublée d’une table ronde, de chaises vénitienne­s du xixe rénovées par Mattia Bonetti et de deux consoles à scagliola conçues par Francis Sultana lui-même, « incarne tout le style de la maison, explique le designer. Un mélange d’ancien, de contempora­in, de neuf et de sur-mesure. » Au fond de la cour, un garigor – escalier maltais typique, en colimaçon, sculpté dans le calcaire local – mène aux trois suites. « Ces palais étaient des garçonnièr­es absolument extraordin­aires, construits pour un seul chevalier et tout son personnel – jusqu’à vingt-deux dans certains cas !, s’amuse-t-il.

Celui-ci comporte même un boudoir, abrité des regards, avec un accès secret à la chambre du chevalier et une porte indépendan­te donnant sur la rue. » →

Situé à l’étage supérieur, le boudoir a lui aussi été transformé en suite. Les pièces principale­s, avec fenêtres donnant sur la rue, sont accessible­s par le grand escalier en pierre que l’architecte a recouvert d’un tapis imprimé Madeleine Castaing. À l’étage au-dessus se trouve une vaste bibliothèq­ue, souvent utilisée pour les réunions de travail de Francis Sultana, qui occupe un rôle de conseil auprès du futur musée d’Art contempora­in (dont l’ouverture est prévue en 2021) et vient d’être nommé ambassadeu­r culturel du pays. Le palier du troisième étage, avec sa sculpture Michael Jackson and Bubbles de Paul McCarthy et son installati­on lumineuse suspendue d’Olafur Eliasson, donne sur le grand salon et la salle à manger. Accueillan­t autrefois les banquets, le salon est inondé de lumière provenant des fenêtres percées dans les murs de 7 mètres de haut et ouvre sur des balcons maltais traditionn­els. Au plafond, les poutres originales ont été utilisées par Daniel Buren pour une création in situ. Dans la salle à manger, l’architrave en calcaire sculpté, autrefois entrée de la chambre du chevalier, rappelle à Francis Sultana la cocathédra­le Saint-Jean : le designer s’est d’ailleurs inspiré de ce décor chargé d’histoire pour les murs bleu foncé ornés de croix et de tours maltaises dorées.

En reprenant l’escalier dominé à son sommet par une installati­on de néons de Jason Rhoades, on accède aux appartemen­ts privés de Francis Sultana et David Gill. Un espace blanc et élégant, qui contraste avec le reste de la maison. Un sanctuaire minimalist­e, qui convient à la perfection à cette nouvelle génération de gentlemen maltais.

Traduction et adaptation de l’anglais Nicolas Milon.

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SOUS UNE LITHOGRAPH­IE de Francesco Clemente, dans l’une des suites, un bureau dessiné par Francis Sultana, tout comme le lit. Fauteuil (Bonacina 1889), rideaux et linge d’intérieur (Loro Piana). LE SOUS-SOL VOÛTÉ accueille la piscine, dominée par une...

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