Tea-time japonais
L’artiste Hiroshi Sugimoto a recréé dans son loft de Manhattan le calme et l’ambiance contemplative d’une maison de thé japonaise traditionnelle. Entre tatamis et calligraphie du xiie siècle, un lieu parfait pour la méditation.
L’artiste Hiroshi Sugimoto a recréé, dans son loft new-yorkais, l’ambiance contemplative d’une maison de thé traditionnelle.
La cérémonie du thé, cette tradition japonaise du xvie siècle, n’est plus dans l’air du temps. En réaction et par refus de la fatalité, le photographe Hiroshi Sugimoto – représenté en France par la galerie Marian Goodman – a conçu, en 2010, sa propre « maison de thé » au-dessus de son loft de Chelsea. En 2014, il en installait une autre, aux murs de verre, à la Biennale de Venise, et il se voit depuis demander régulièrement par ses clients d’en imaginer une qui leur corresponde. La cérémonie du thé est codifiée par les pratiques bouddhistes ancestrales et il s’agit de s’y conformer religieusement. La maison de thé doit occuper la taille de quatre tatamis et demi, une antichambre permet de réunir les invités avant le service, et une entrée séparée est réservée à l’hôte de la cérémonie.
Les oeuvres et peintures décoratives sont choisies avec soin, celle de la chambre de thé plus encore que celle de l’antichambre. Chez lui, Hiroshi Sugimoto a suivi à la lettre ces recommandations, s’autorisant tout de même quelques libertés afin de tenir compte de la disposition tout en longueur de son entrepôt haut perché. Une « tea house » comprend habituellement un jardin que les invités doivent traverser. Étant donné l’architecture urbaine des lieux, le photographe a recréé un chemin symbolique fait d’épaisses dalles grises bordé de pierres et de mousse qu’il prend soin de purifier à grandes eaux avant chaque nouvel hôte. Au bout du chemin se dresse la construction elle-même, habillée de poutres en bois anciennes. Les traditionnels quatre tatamis et demi recouvrent le sol, mais Hiroshi Sugimoto admet que s’y installer à la japonaise est un tour de force. « De nos jours les Japonais ne savent plus s’y tenir de la bonne façon. C’est vite douloureux, même moi je n’y parviens pas ! » Il a donc créé, à partir du tronc d’un cèdre du Canada millénaire, une longue table qui laisse apparaître les anneaux de croissance et les marques du temps de l’arbre vénérable. Autour, des tabourets aux formes géométriques particulières représentant les cinq éléments de la symbolique bouddhiste et, en écho, une pagode sculptée par l’artiste lui-même, contenant une version miniature de ses célèbres et paisibles paysages marins. « C’est un modèle datant du xiie siècle que j’ai simplifié. Il est habituellement taillé dans la pierre, mais là
j’ai préféré le verre transparent que l’on utilise en optique. » Si l’ambiance demeure traditionnelle, certaines touches contrastent : peu de maisons de thé offrent une vue sur des châteaux d’eau new-yorkais. Ils rappellent à Hiroshi Sugitomo l’architecture industrielle immortalisée par les photographes allemands Bernd et Hilla Becher. Avec humour, d’autres télescopages sont encouragés : traditionnellement, une tea house a un nom, celui-ci, Heavenly Hell, soit « L’enfer céleste », est gravé dans une colonne de pierre à l’entrée, référence à sa situation en hauteur, dominant la fureur des rues en contrebas.
De même, Hiroshi Sugimoto n’a pas créé cette maison que pour prendre le thé. Il est important pour lui que la cérémonie célèbre aussi l’amitié. C’est « une façon de s’affranchir des barrières de classes,
précise-t-il. C’est l’idée selon laquelle à l’intérieur de cette petite tea house vous n’appartenez plus à aucune catégorie sociale, vous pouvez parler librement, sans crainte d’être jugé ». Et l’art y joue également son rôle. « Parfois, poursuit le photographe, j’invite des amis à exposer une oeuvre de leur choix. Le lieu tient alors plus de la galerie d’art que de la tea house. Pour moi, un des buts de la cérémonie est de présenter des oeuvres le mieux possible. C’est probablement son essence même. » Il préfère d’ailleurs utiliser l’espace pour présenter une seule pièce issue de sa collection de livres et planches anatomiques françaises et japonaises du xviiie siècle. Collectionneur ? Une facette de l’artiste à côté de laquelle on risque de passer si l’on n’a pas eu le privilège d’être invité dans sa maison de thé…