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L’Élysée change de décor

On n’avait pas remplacé sa moquette depuis la présidence Sarkozy… La salle des fêtes de l’Élysée termine sa mue, sous l’égide du Mobilier national et grâce au talent de l’architecte Isabelle Stanislas. Visite de chantier.

- PAR Marion Bley PHOTOS Marion Berrin

L’architecte Isabelle Stanislas renouvelle l’esprit de la salle des fêtes du palais. Visite de chantier.

Un après-midi d’automne, au milieu de la salle des fêtes de l’Élysée, un petit groupe étonne, assis par terre sur la moquette rouge à ramages. L’une des femmes a ôté ses talons hauts et se masse la plante des pieds, absorbée dans l’examen d’un document. Les protagonis­tes examinent alternativ­ement des esquisses de plans et les rideaux écarlates, les tapisserie­s et les dorures omniprésen­tes de la pièce. L’architecte Isabelle Stanislas, qui vient de remporter la consultati­on organisée par le Mobilier national pour rénover ces salons de réception, les fait découvrir, en présence de Brigitte Macron, à Franck Debets, des Ateliers Gohard, et Pascal Rémy, des Ateliers Saint-Jacques, deux des entreprise­s qui vont l’assister sur ce chantier. Quelques semaines avant le début des travaux, c’est une sorte de conseil de guerre qui se tient là. Une guerre éclair, puisque tout va devoir se jouer en quelques jours pour cet intense chantier.

Une interventi­on nécessaire

Construite à partir de 1887 pour recevoir les « raouts » de l’Exposition universell­e de 1889, la salle des fêtes de l’Élysée a été plus tard reliée au salon Napoléon III (lui-même ajouté au palais en 1860) par un jardin d’hiver sous verrière. Ses plafonds richement décorés datent de la fin du xixe siècle, mais elle a évolué au fil du temps dans une sorte de sédimentat­ion des décors historique­s, jusqu’à ces dernières années où elle arborait des éléments rouge et doré dans une caricature de style Second Empire. L’ensemble est fatigué, voire endommagé, la moquette, plus qu’usée, a été découpée par endroits pour laisser apparaître des grilles d’aération, les murs ont souffert d’infiltrati­ons… en somme un décor peu brillant pour un lieu qui sert de vitrine à la République française. La Cour des comptes même s’inquiète de l’état du 55, rue →

du Faubourg-Saint-Honoré, insistant sur « la nécessité de mener les travaux de la conservati­on du patrimoine immobilier, au risque que celui-ci continue de se dégrader ». Depuis quelque temps, le Mobilier national, dont l’une des missions est de gérer l’ameublemen­t des palais officiels de la République, comme ses ministères ou ses ambassades, souhaite restaurer les tapisserie­s qui ornent les salons : quitte à immobilise­r la salle, autant en profiter pour faire une nouvelle propositio­n de décor. L’institutio­n, à laquelle sont rattachées entre autres les manufactur­es des Gobelins et de la Savonnerie, à Paris, dispose aussi de sept ateliers de restaurati­on qui lui permettent d’assurer la prise en charge globale des décors, dans le respect des traditions et des savoir-faire.

Une sobre palette gris-beige et biscuit

La décision est donc prise de lancer ce chantier, et d’en faire du même coup un projet de création. Les travaux concernero­nt la salle des fêtes, le jardin d’hiver et le salon Napoléon III, soit les 1 025 m2 de ces trois pièces en enfilade. Sans toucher à la structure générale, il faudra en faire un espace qui se suffise à lui-même en s’ancrant dans l’existant, sous la haute surveillan­ce des architecte­s en chef des Monuments historique­s et des Bâtiments de France. Ce qui sera mis en oeuvre ne doit toutefois pas être une révolution, et ne concernera que les murs, les sols et leurs revêtement­s.

Dans la foulée, le Mobilier national organise une consultati­on. Un jury, auquel participe Brigitte Macron, examine les projets de cinq agences d’architectu­re et sélectionn­e celui d’Isabelle Stanislas. L’architecte propose le changement des rideaux, des tentures et de la moquette, et le remplaceme­nt des tapisserie­s par des panneaux en staff, le tout dans des tons de gris-beige et biscuit, afin de calmer le jeu des décors superlatif­s des corniches et des plafonds. « Mon idée était de sortir des symbolique­s, et de renouer avec le style architectu­ral du xviiie siècle qui est celui du palais, explique-t-elle. J’ai voulu fluidifier l’usage de ces salons, leur offrir une cohérence visuelle de façon à recréer l’enfilade. » Le revêtement de sol, une moquette en laine bordée de palmes, crée un lien entre les trois pièces et les unifie par la couleur. On fait entrer la lumière grâce à des rideaux de velours gris qui s’ouvrent entièremen­t, venant disparaîtr­e derrière un pan droit en velours gaufré, le tout cousu main par l’atelier de Laure Dauvier au Mobilier national. Les panneaux de staff, cernés de cadres fin en bronze, sont agrémentés de systèmes de crémaillèr­es

invisibles auxquelles on pourra suspendre des oeuvres lors d’exposition­s, pourquoi pas de jeunes artistes comme le souhaite Brigitte Macron. L’acronyme RF, redessiné, est rechampi à l’or fin sur les panneaux de staff. L’emblème de la République s’enrichit de la croix de Lorraine : la République française s’exprime pleinement ici, mais avec davantage de chaleur et d’élégance. Ces travaux se doublent d’interventi­on utilitaire­s, comme le doublage des verrières du jardin d’hiver avec un film anti-UV et isolant, la remise en état des plinthes…

« On est allés vers des choses simples mais parfaites, pas très coûteuses non plus », poursuit Isabelle Stanislas. Le budget du chantier est de 500 000 euros, dont une partie sera payée par les souvenirs de la présidence de la République, ces objets dérivés créés pour les dernières Journées du patrimoine.

Des travaux express… et intenses

Une fois le projet validé, il faut trouver le bon moment pour immobilise­r des salles qui servent 250 jours par an pour les réceptions, les goûters de Noël, les remises de Légion d’honneur, les prises de paroles du Président… Les travaux auront donc lieu du 22 novembre au 11 janvier. Cent-vingt personnes participen­t au chantier ( jusqu’à 100 simultaném­ent, au pic

d’activité), issues de cinq entreprise­s : le Mobilier national, les Ateliers Saint-Jacques (en menuiserie et métallerie), les Ateliers Gohard ( pour les staff et la peinture dorure), Pinton et la Manufactur­e royale du Parc d’Aubusson ( pour la moquette). Sécurité oblige, chaque véhicule – et son chargement – qui pénètre dans l’enceinte de l’Élysée passe sous les museaux de la brigade cynophile… D’abord, on dépose les tapisserie­s, rideaux, tentures et moquettes existants, qui vont être nettoyés et stockés par le Mobilier national. Parallèlem­ent, les éléments fabriqués ( panneaux de staff et bandeaux qui viennent fermer certaines arches) sont testés in situ pour être parfaiteme­nt adaptés, les raccords de peinture effectués, les nouveaux staff, tentures, parcloses et tringles posés. Puis les dorures sont ravivées, la moquette installée, et les rideaux enfin accrochés

– et tirés sur cette chorégraph­ie extrêmemen­t rodée qui aura duré 42 jours précisémen­t, certaines entreprise­s travaillan­t le samedi, voire le dimanche et, pour Gohard, quelques nuits…

La salle des fêtes est le lieu par excellence où la République s’incarne, puisque c’est là que le Président prononce ses allocution­s. Elle est aussi la première vitrine des savoir-faire français en matière de →

décoration et d’art de vivre, puisqu’elle accueille les visiteurs étrangers de la présidence. Ces salons parlent d’un pays qui a toujours su maintenir la vitalité et l’excellence de sa création, ils se doivent d’en être le reflet. « Je suis fasciné de voir combien, en haute décoration, des questions “simples” peuvent cacher de problémati­ques, s’émerveille Hervé Lemoine, directeur du Mobilier national. Dans le cas des salons de l’Élysée, le travail pour un tomber parfait des rideaux selon le sens du tissage du velours, par exemple. Le choix d’un échantillo­nnage de teintes pour les dégradés de la moquette, parmi les 14 000 références de couleurs du nuancier des Gobelins. Autant de détails qui font la perfection de nos décors. » Isabelle Stanislas

rebondit : « Les rideaux que nous avons fait faire, double face, en velours, sur 5 mètres de hauteur, ne présentent aucun faux pli, s’ouvrent et se ferment facilement, et viennent disparaîtr­e entièremen­t derrière les pentes ; ils sont un bon exemple de ce souci de qualité extrême de la décoration française. » Ce qui n’a rien d’un détail, en effet, et témoigne d’un précieux savoir-faire…

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L’ARCHITECTE ISABELLE STANISLAS, lauréate du concours pour la rénovation de la salle des fêtes.
 ??  ?? 2. DE GRAND PANNEAUX de staff ont remplacé, aux murs, les anciennes tapisserie­s de damas rouge. Ils portent le sigle RF exprimé dans sa toute nouvelle graphie. 2
2. DE GRAND PANNEAUX de staff ont remplacé, aux murs, les anciennes tapisserie­s de damas rouge. Ils portent le sigle RF exprimé dans sa toute nouvelle graphie. 2
 ??  ?? 1. DÉTAIL, au pied des moulures, de la moquette en laine à décor de palmettes, réalisée par les ateliers Pinton et la Manufactur­e royale du Parc. 1
1. DÉTAIL, au pied des moulures, de la moquette en laine à décor de palmettes, réalisée par les ateliers Pinton et la Manufactur­e royale du Parc. 1
 ??  ?? 3. LES RIDEAUX de velours et leur pan droit gaufré à motif de palmettes, installés dans l’atelier de tapisserie du Mobilier national. 3
3. LES RIDEAUX de velours et leur pan droit gaufré à motif de palmettes, installés dans l’atelier de tapisserie du Mobilier national. 3
 ??  ?? 4. DÉTAIL, dans la salle des fêtes, des parcloses (panneaux muraux) tendues de satin rayé gris et encadrées de moulures dorées, protégées encore par des plastiques. 4
4. DÉTAIL, dans la salle des fêtes, des parcloses (panneaux muraux) tendues de satin rayé gris et encadrées de moulures dorées, protégées encore par des plastiques. 4
 ??  ?? LES ÉLÉMENTS DE DÉCOR chargés de la salle des fêtes, médaillons, lustres, moulures, vitraux, colonnes… sont aujourd’hui apaisés par de grands panneaux de staff, dont le plâtre sera ferré pour le texturer puis ciré.
LES ÉLÉMENTS DE DÉCOR chargés de la salle des fêtes, médaillons, lustres, moulures, vitraux, colonnes… sont aujourd’hui apaisés par de grands panneaux de staff, dont le plâtre sera ferré pour le texturer puis ciré.

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