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BBPR, architecte­s du design

La mythique agence italienne a contribué à redessiner la ville de Milan au xxe siècle, tout en imaginant un mobilier à l’allure années 1950, si désirable aujourd’hui.

- Oscar Duboÿ PAR

L’agence italienne, ses réalisatio­ns mythiques et son mobilier désirable.

It is very Milanese ! » s’exclama Alvar Aalto en découvrant pour la première fois ce grand monolithe de béton armé qui culmine à deux pas du Duomo, en plein centre. Il ne croyait pas si bien dire. Cinquante ans plus tard, la Torre Velasca est devenue le symbole de la ville et de ces années 1950 qui l’ont vue renaître à grands coups de plans d’aménagemen­t. Pour dessiner les lignes de cette nouvelle élégance, on a fait appel à une agence déjà bien connue des salons milanais, le studio BBPR. Après tout, celui-ci n’a-t-il pas été adoubé, dès ses débuts, par le grand architecte Piero Portaluppi, qui a présenté avec lui le projet de « Casa del sabato per

gli sposi » à la Ve Triennale en 1933 ? Une jolie carte de visite qui a permis de retenir les quatre noms de cet étrange acronyme, Gian Luigi Banfi, Lodovico Barbiano di Belgiojoso, Enrico Peressutti et Ernesto Nathan Rogers, avant que le premier d’entre eux ne soit déporté à Mauthausen. Et puis, les années de jeunesse passées dans le giron de la revue Il Quadrante ont rapproché le groupe du CIAM (Congrès internatio­nal d’architectu­re moderne) et des vues moderniste­s de Le Corbusier et de Giedion. Autrement dit, BBPR sera parfait pour concilier le passé rationalis­te avec les avant-gardes internatio­nales.

Une tour monstrueus­e

Pas étonnant que la première version de la tour ait été présentée avec une structure en acier… La taille, en revanche, a été fixée depuis le début à 87,50 mètres précis, exceptionn­ellement autorisés pour libérer le maximum d’espace de parking au sol. Ainsi BBPR remplira les consignes d’altitude jusqu’au dernier centimètre, se permettant même de tricher – on compte 99 mètres au sommet de la cheminée. Une raison de plus de critiquer la tour à sa livraison, en 1958. Monstrueus­e, trop grosse, trop grande, trop sèche, on ne sait tellement pas quoi faire de son esthétique inattendue qu’on ira jusqu’à la qualifier de néo-Liberty, sans remarquer plus simplement l’hommage évident aux

contours Renaissanc­e de la Torre del Filarete qui trône devant le Castello Sforzesco, haut lieu de l’identité milanaise. Ce château en guise de musée, les BBPR le connaissen­t bien pour l’avoir entièremen­t réaménagé, faisant défiler à travers les collection­s toute l’histoire de la ville, des Visconti aux Arcimboldi, avec la fameuse Pietà Rondanini de Michel-Ange – cerise sur le gâteau – mise en valeur grâce à un système de muraille-paravent archi subtil.

Les artistes du moment

Car le groupe est déjà rodé à la problémati­que artistique des exposition­s, que ce soit en intérieur ou en extérieur. En plein air, par exemple, plus précisémen­t dans les jardins de la Xe Triennale de 1954 : les spirales en briques de leur Labirinto dei ragazzi sont entièremen­t dessinées par Saul Steinberg avant de se rejoindre sur un mobile de Calder. Toujours à Milan, on peut faire pivoter du doigt la sculpture de Marino Marini installée dans la maison Rollier, où un escalier en colimaçon descend du plafond, entourant une immense cheminée conique, carrelée de la tête aux pieds par Fausto Melotti… Lucio Fontana ou encore Max Bill, tous ces artistes sont des habitués de la Via dei Chiostri, où BBPR a établi son fief. C’est d’ailleurs là que l’agence invitera le peintre Renato Guttuso en 1962 pour lui

parler d’un nouveau projet de banque à Palerme. Une maquette et plusieurs croquis plus tard, le bâtiment verra le jour avec deux surprises pour le prix d’une : un vitrail impression­nant et un escalier d’honneur, déployant un long mur mixte décoré à la terre cuite émaillée, céramique et feuille d’or. Peut-être un écho à l’immense bas-relief en plâtre imaginé dix ans plus tôt par le sculpteur Costantino Nivola pour le showroom Olivetti ?

La saga Olivetti

Cette fois, c’était à New York, sur la 5e Avenue, et BBPR signait un écrin tout en marbres rose et vert pour l’un de ses plus fidèles commandita­ires. En effet, la complicité de l’entreprene­ur Adriano Olivett i avec tous les architecte­s de l’époque n’est pas un secret : Carlo Scarpa, Ettore Sottsass, Marco Zanuso… les meilleurs. L’indust riel fera appel plusieurs fois à BBPR, lui confiant une seconde adresse à Barcelone et une gamme de

mobilier de bureau. Ce sera d’abord Spazio, puis surtout la célèbre Arco. Car les machines à écrire ne suffisent plus, il faut maintenant s’attaquer à tout l’espace de travail en apportant des réponses à ses besoins d’adaptabili­té de plus en plus pressants. D’où cette idée de génie d’imaginer des éléments modulaires de différente­s tailles, comme des petites architectu­res, de sorte à les encastrer à l’envi. On reconnaît là la structure en métal laqué noir chère à BBPR, qui n’hésitera jamais à marquer l’ossature d’un meuble avec de subtils gimmicks formels, même lorsque le cadre se fait plus bourgeois et que le velours prend le dessus. La preuve dans les ensembles pour les appartemen­ts Z.P. ou Ravelli, retrouvés par Ugo Alfano de la Casati Gallery. Regardez bien ces géométries en bois, on dirait les gros portails polygonaux des bureaux de la Chase Manhattan Bank à Milan, piazza Filippo Meda, face à un immeuble de Portaluppi. Molto Milanese.

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 ??  ?? 1. BBPR AU TRAVAIL, soit, de gauche à droite, Enrico Peressutti, Lodovico Barbiano di Belgiojoso, Ernesto Nathan Rogers et Gian Luigi Banfi.
1. BBPR AU TRAVAIL, soit, de gauche à droite, Enrico Peressutti, Lodovico Barbiano di Belgiojoso, Ernesto Nathan Rogers et Gian Luigi Banfi.
 ??  ?? 2. ALLURE DE CHÂTEAU FORT des temps modernes pour la Torre Velasca à Milan, érigée en 1958.
2. ALLURE DE CHÂTEAU FORT des temps modernes pour la Torre Velasca à Milan, érigée en 1958.
 ??  ?? 3. TABLE VITRINE en bois et verre pour Moretti, dans les années 1940 ( Wright).
3. TABLE VITRINE en bois et verre pour Moretti, dans les années 1940 ( Wright).
 ??  ?? 2. UN LAMPADAIRE en verre et laiton chromé, créé pour Artemide en 1964.
2. UN LAMPADAIRE en verre et laiton chromé, créé pour Artemide en 1964.
 ??  ?? 1. LES ASSISES de ce « loveseat » en bois, laiton et peau dessiné en 1958, peuvent se retourner en position face à face (Casati Gallery).
1. LES ASSISES de ce « loveseat » en bois, laiton et peau dessiné en 1958, peuvent se retourner en position face à face (Casati Gallery).
 ??  ?? 3. DANS LA BANQUE COMMERCIAL­E ITALIENNE, à Palerme, l’escalier d’honneur déploie une fresque de l’artiste Renato Guttuso.
3. DANS LA BANQUE COMMERCIAL­E ITALIENNE, à Palerme, l’escalier d’honneur déploie une fresque de l’artiste Renato Guttuso.
 ??  ?? 44. LE LABIRINTO DEI RAGAZZI, imaginé pour les jardins de la Triennale de 1954.
44. LE LABIRINTO DEI RAGAZZI, imaginé pour les jardins de la Triennale de 1954.
 ??  ?? 33. UN BUREAU Arco, en métal laqué, vinyle et plastique, créé pour Olivetti en 1963 ( Wright).
33. UN BUREAU Arco, en métal laqué, vinyle et plastique, créé pour Olivetti en 1963 ( Wright).
 ??  ?? 1. LE SHOWROOM OLIVETTI, à New York, tout de marbres rose et vert, avec son monumental bas-relief signé Costantino Nivola et ses chaises El e  ra, dessinées en 1954 pour Arflex.
1. LE SHOWROOM OLIVETTI, à New York, tout de marbres rose et vert, avec son monumental bas-relief signé Costantino Nivola et ses chaises El e ra, dessinées en 1954 pour Arflex.
 ??  ?? 2. LE FAUTEUIL GIULIETTA, édité par Arflex en 1958 et réédité en 2016.
2. LE FAUTEUIL GIULIETTA, édité par Arflex en 1958 et réédité en 2016.

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