BBPR, architectes du design
La mythique agence italienne a contribué à redessiner la ville de Milan au xxe siècle, tout en imaginant un mobilier à l’allure années 1950, si désirable aujourd’hui.
L’agence italienne, ses réalisations mythiques et son mobilier désirable.
It is very Milanese ! » s’exclama Alvar Aalto en découvrant pour la première fois ce grand monolithe de béton armé qui culmine à deux pas du Duomo, en plein centre. Il ne croyait pas si bien dire. Cinquante ans plus tard, la Torre Velasca est devenue le symbole de la ville et de ces années 1950 qui l’ont vue renaître à grands coups de plans d’aménagement. Pour dessiner les lignes de cette nouvelle élégance, on a fait appel à une agence déjà bien connue des salons milanais, le studio BBPR. Après tout, celui-ci n’a-t-il pas été adoubé, dès ses débuts, par le grand architecte Piero Portaluppi, qui a présenté avec lui le projet de « Casa del sabato per
gli sposi » à la Ve Triennale en 1933 ? Une jolie carte de visite qui a permis de retenir les quatre noms de cet étrange acronyme, Gian Luigi Banfi, Lodovico Barbiano di Belgiojoso, Enrico Peressutti et Ernesto Nathan Rogers, avant que le premier d’entre eux ne soit déporté à Mauthausen. Et puis, les années de jeunesse passées dans le giron de la revue Il Quadrante ont rapproché le groupe du CIAM (Congrès international d’architecture moderne) et des vues modernistes de Le Corbusier et de Giedion. Autrement dit, BBPR sera parfait pour concilier le passé rationaliste avec les avant-gardes internationales.
Une tour monstrueuse
Pas étonnant que la première version de la tour ait été présentée avec une structure en acier… La taille, en revanche, a été fixée depuis le début à 87,50 mètres précis, exceptionnellement autorisés pour libérer le maximum d’espace de parking au sol. Ainsi BBPR remplira les consignes d’altitude jusqu’au dernier centimètre, se permettant même de tricher – on compte 99 mètres au sommet de la cheminée. Une raison de plus de critiquer la tour à sa livraison, en 1958. Monstrueuse, trop grosse, trop grande, trop sèche, on ne sait tellement pas quoi faire de son esthétique inattendue qu’on ira jusqu’à la qualifier de néo-Liberty, sans remarquer plus simplement l’hommage évident aux
contours Renaissance de la Torre del Filarete qui trône devant le Castello Sforzesco, haut lieu de l’identité milanaise. Ce château en guise de musée, les BBPR le connaissent bien pour l’avoir entièrement réaménagé, faisant défiler à travers les collections toute l’histoire de la ville, des Visconti aux Arcimboldi, avec la fameuse Pietà Rondanini de Michel-Ange – cerise sur le gâteau – mise en valeur grâce à un système de muraille-paravent archi subtil.
Les artistes du moment
Car le groupe est déjà rodé à la problématique artistique des expositions, que ce soit en intérieur ou en extérieur. En plein air, par exemple, plus précisément dans les jardins de la Xe Triennale de 1954 : les spirales en briques de leur Labirinto dei ragazzi sont entièrement dessinées par Saul Steinberg avant de se rejoindre sur un mobile de Calder. Toujours à Milan, on peut faire pivoter du doigt la sculpture de Marino Marini installée dans la maison Rollier, où un escalier en colimaçon descend du plafond, entourant une immense cheminée conique, carrelée de la tête aux pieds par Fausto Melotti… Lucio Fontana ou encore Max Bill, tous ces artistes sont des habitués de la Via dei Chiostri, où BBPR a établi son fief. C’est d’ailleurs là que l’agence invitera le peintre Renato Guttuso en 1962 pour lui
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parler d’un nouveau projet de banque à Palerme. Une maquette et plusieurs croquis plus tard, le bâtiment verra le jour avec deux surprises pour le prix d’une : un vitrail impressionnant et un escalier d’honneur, déployant un long mur mixte décoré à la terre cuite émaillée, céramique et feuille d’or. Peut-être un écho à l’immense bas-relief en plâtre imaginé dix ans plus tôt par le sculpteur Costantino Nivola pour le showroom Olivetti ?
La saga Olivetti
Cette fois, c’était à New York, sur la 5e Avenue, et BBPR signait un écrin tout en marbres rose et vert pour l’un de ses plus fidèles commanditaires. En effet, la complicité de l’entrepreneur Adriano Olivett i avec tous les architectes de l’époque n’est pas un secret : Carlo Scarpa, Ettore Sottsass, Marco Zanuso… les meilleurs. L’indust riel fera appel plusieurs fois à BBPR, lui confiant une seconde adresse à Barcelone et une gamme de
mobilier de bureau. Ce sera d’abord Spazio, puis surtout la célèbre Arco. Car les machines à écrire ne suffisent plus, il faut maintenant s’attaquer à tout l’espace de travail en apportant des réponses à ses besoins d’adaptabilité de plus en plus pressants. D’où cette idée de génie d’imaginer des éléments modulaires de différentes tailles, comme des petites architectures, de sorte à les encastrer à l’envi. On reconnaît là la structure en métal laqué noir chère à BBPR, qui n’hésitera jamais à marquer l’ossature d’un meuble avec de subtils gimmicks formels, même lorsque le cadre se fait plus bourgeois et que le velours prend le dessus. La preuve dans les ensembles pour les appartements Z.P. ou Ravelli, retrouvés par Ugo Alfano de la Casati Gallery. Regardez bien ces géométries en bois, on dirait les gros portails polygonaux des bureaux de la Chase Manhattan Bank à Milan, piazza Filippo Meda, face à un immeuble de Portaluppi. Molto Milanese.