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Giuseppe Penone, sculpteur parmi les arbres

L’artiste italien, qui a semé ses sculptures dans le parc de Versailles en 2013, fait l’objet d’une exposition à Sarrebruck. Il nous reçoit à Turin, dans son atelier… où il voit les choses en grand.

- Valentina Sommariva Axelle Corty PHOTOS PROPOS RECUEILLIS PAR

L’artiste nous reçoit dans son atelier turinois… où il voit les choses en grand.

AD Comment avez-vous découvert ce lieu ?

GP Je cherchais un grand espace pour entreposer mes oeuvres et cet ancien entrepôt métallurgi­que, en plein centre-ville, était à vendre. J’y travaille depuis les années 1990. Je l’ai transformé en une sorte d’immense cube vide de 22 mètres de côté et 14 mètres de hauteur. AD Qu’est-ce qu’un si grand atelier rend possible ?

GP Dans un tel volume, on se sent presque en extérieur. Ni la réflexion ni l’imaginatio­n ne sont bridées. On peut voir les choses en grand. Le lieu dans lequel vous avez l’habitude de réfléchir a son importance dans la création artistique. Lorsqu’on évolue dans un petit espace, les oeuvres s’en ressentent. AD Travaillez-vous seulement ici ?

GP Il y a un autre endroit que j’aime définir comme mon atelier : le bois de 16 hectares qui entoure ma maison, dans les collines autour de Turin. J’y réfléchis beaucoup, j’y réalise des choses. En fait, je crée dans beaucoup d’endroits. On peut créer même chez soi, à table ou dans son lit. La mémoire rend cela possible. AD Vous sentez-vous plutôt rural ou citadin ?

GP Je ne sais pas. Je suis né à Garessio, un village du Piémont, à 120 kilomètres d’ici. Aux alentours, il y a beaucoup de vieux arbres. Une de mes premières oeuvres, c’est une main en bronze, un moulage de ma propre main, qui enserre un très jeune arbre et influence sa forme au fil de sa croissance. J’avais dans l’idée que l’arbre était une matière fluide, une matière à modeler. Mais pour partager mes recherches, il a bien fallu photograph­ier mon oeuvre et la montrer dans des galeries. J’ai besoin des villes pour dialoguer avec le milieu artistique. →

AD Qu’allez-vous montrer dans votre exposition au musée de Sarrebruck ?

GP Il y a notamment là-bas un très bel espace de 15 mètres de haut, avec un puits de lumière. J’ai installé le long des murs un ensemble de sculptures que j’ai déjà montrées à Toronto en 2012, au Musée des beaux-arts de l’Ontario, qui évoquent la structure de très vieux arbres. Au centre, il y a d’autres oeuvres du même genre. Cela fait penser à une clairière. AD Le monde végétal vous inspire. Que pensez-vous de notre détresse écologique actuelle ?

GP Depuis la nuit des temps, dans la mythologie, dans la poésie, l’arbre et l’homme ont un lien très profond. Cela tient à l’oxygène que les arbres fabriquent, à l’idée de la respiratio­n, de la vie. L’homme et la nature, c’est la même chose. Quand la « matière homme », comme on pourrait appeler la quantité d’hommes sur la Terre, détruit les autres formes vivantes pour son alimentati­on et son besoin de produire, elle met en péril sa survie. C’est idiot. AD Y a-t-il une dimension militante dans votre oeuvre ?

GP Non. Je ne veux pas instrument­aliser mon oeuvre en fonction d’un discours, ni dénoncer quoi que ce soit. Une oeuvre politique est forcément ratée. Mes sculptures sont des formes qui synthétise­nt mes réflexions sur l’art, la relation de l’homme à l’espace, sa façon de porter sa main sur ce qui l’entoure. Si l’on a besoin de parler d’une sculpture pour qu’elle existe, c’est que cette synthèse est ratée, que l’oeuvre n’est pas un langage.

AD La forme des arbres synthétise vos recherches ?

GP Mes oeuvres ne sont pas des représenta­tions d’arbres. Ce sont des sculptures créées avec des éléments de végétation. Je réfléchis sur la structure. Celle des arbres est extraordin­aire. Chaque élément qui constitue un arbre, chaque bourgeon, chaque branche, chaque feuille, a une nécessité pour sa survie. Sa position aussi. Selon l’endroit où il pousse, l’arbre adopte une forme ou une autre, toujours belle. C’est une sculpture avec une nécessité de vie. AD Le bois est-il votre medium préféré ?

GP Je travaille d’autres matériaux : la céramique, la résine, le marbre, le bronze. En plus d’être agréable à toucher et parfumé, le bois est un matériau particuliè­rement chargé. À l’intérieur d’une simple poutre, on trouve des informatio­ns sur l’histoire de l’arbre dont elle provient. En creusant comme un archéologu­e en suivant les lignes du bois, on peut recréer la forme qu’avait l’arbre à un moment de sa vie. C’est ce que j’ai fait dans Ripetere il Bosco (1969-1997, ndlr), que je montre à Sarrebruck. →

« Mes oeuvres ne sont pas des représenta­tions d’arbres. Ce sont des sculptures. »

AD Avec L’Arbre des voyelles, installé depuis 1999 au jardin des Tuileries, vous immortalis­ez aussi un arbre…

GP L’oeuvre est en bronze, réalisée à partir du moulage d’un arbre. On dirait un arbre fossilisé. C’est une réflexion sur le temps, mais aussi sur la différence de logique entre le monde humain et le monde végétal. Cet arbre déraciné, couché au sol, serait impensable dans ce jardin à la française qui symbolise l’intelligen­ce de l’homme. On l’aurait immédiatem­ent retiré. Le bosquet dans lequel se trouve la sculpture a été créé par l’architecte et paysagiste Pascal Cribier, qui a magnifique­ment compris l’oeuvre.

Il y a des buissons, de l’herbe. Les plantes y poussent selon la logique du monde végétal. C’est comme une oasis. AD Vous vivez entre Turin et Paris. Qu’est-ce qui vous plaît dans ces deux villes ?

GP Turin est une ville laborieuse. La tradition d’artisanat et d’industrie y est bien ancrée. Cela m’offre de nombreuses capacités dans la réalisatio­n de mes oeuvres et la possibilit­é de travailler sans être dérangé. À Turin, je n’ai pas beaucoup de relations sociales et je ne cherche pas à les cultiver. À Paris, où j’ai enseigné la sculpture aux Beaux-Arts de 1997 à 2012, c’est très différent. Dans cette ville, même si l’on n’a pas de vie sociale, on peut toujours socialiser. En s’asseyant simplement dans un café, on trouve une richesse humaine extraordin­aire.

Ces deux aspects se complètent dans mon existence. 

À voir : Giuseppe Penone, du 13 avril 2019 au 28 juin 2020, Galerie d’Art moderne du musée de la Sarre, Bismarckst­raße 11-15, Sarrebruck, Allemagne. saarlandmu­seum.de

Giuseppe Penone est représenté à Paris par la galerie Marian Goodman. mariangood­man.com

« Turin, ville laborieuse, m’offre la possibilit­é de travailler. À Paris, on peut toujours socialiser. »

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 ??  ?? GIUSEPPE PENONEdans son atelier turinois, devant Albero di 12 metri (1980), sculpture où il a retrouvé le coeur de l’arbre originel à l’intérieur d’une poutre. À gauche, au mur, un moulage de branches en résine de la série Germinazio­ne (2005). Au sol, Terra su terra (2014), en bronze et terre cuite. À droite, une sculpture de la série Avvolgere la terra – ramo (2013).
GIUSEPPE PENONEdans son atelier turinois, devant Albero di 12 metri (1980), sculpture où il a retrouvé le coeur de l’arbre originel à l’intérieur d’une poutre. À gauche, au mur, un moulage de branches en résine de la série Germinazio­ne (2005). Au sol, Terra su terra (2014), en bronze et terre cuite. À droite, une sculpture de la série Avvolgere la terra – ramo (2013).
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 ??  ?? OEUVRES de la série Indistinti confini (2012), en marbre blanc de Carrare, bronze et fer.
OEUVRES de la série Indistinti confini (2012), en marbre blanc de Carrare, bronze et fer.
 ??  ?? CORTECCIA (1983), terre cuite, bronze, fer et bois, fait partie d’une série composée à partir de bustes en terre cuite des fils de l’artiste.
CORTECCIA (1983), terre cuite, bronze, fer et bois, fait partie d’une série composée à partir de bustes en terre cuite des fils de l’artiste.
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AU MUR DE L’ATELIER, les 12 éléments de Spine d’acacia – contatto, maggio 2005 (2005), toile, soie, épines d’acacia.
 ??  ?? DANS L’ATELIER, au premier plan, une sculpture de la série Spazio di luce (2008), bronze et feuille d’or. Au fond, Essere fiume (2010), pierre.
DANS L’ATELIER, au premier plan, une sculpture de la série Spazio di luce (2008), bronze et feuille d’or. Au fond, Essere fiume (2010), pierre.

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