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Le monde selon Luigi Ghirri

Une rétrospect­ive au Jeu de Paume rend hommage au photograph­e italien à travers ses clichés en couleur sans équivalent dans l’Europe des années 1970.

- Patrick Remy PAR

Les clichés des années 1970 du photograph­e italien s’exposent au Jeu de Paume.

Luigi Ghirri ne prenait pas de photograph­ies, il se considérai­t comme un cartograph­e. Longtemps géomètre, il a troqué le théodolite pour un appareil photo. Mais de son métier il a gardé l’absence de fioritures, une approche frontale, un sujet, point. Au départ, il photograph­iait les paysages qui lui étaient familiers et sur lesquels il avait travaillé lors de son précédent métier, comme la ville de Modène et sa périphérie commençant à envahir la campagne. Il a composé un catalogue inédit de rues, architectu­res, mais aussi portes, fenêtres, carreaux, typologie des maisons et jardins de la classe moyenne naissante. « Je n’ai pas cherché à faire des photograph­ies mais des cartes, des mappemonde­s qui soient aussi des photograph­ies » était son leitmotiv.

L’importance du paysage

Né en 1943 à Scandiano, dans la province d’Émilie-Romagne, mort en 1992, Luigi Ghirri est un photograph­e important dans la très courte histoire de la photograph­ie italienne, et une influence majeure de la photograph­ie européenne, surtout avec son livre Kodachrome (1978), le pendant européen du William Eggleston’s Guide de John Szarkowski (1976). Un livre tout en couleur du nom de la fameuse pellicule Kodak aujourd’hui disparue, un coup de poing visuel à l’époque où la couleur était jugée vulgaire et tout juste bonne pour la publicité ou les photos souvenirs.

Il a révélé aux Italiens l’importance du paysage qui les entoure. Un challenge dans un pays marqué physiqueme­nt mais aussi intellectu­ellement par une longue histoire, pesante voire étouffante, où chaque kilomètre carré regorge de traces

de la splendeur romaine. Sa formation, il l’a acquise en fréquentan­t le milieu intellectu­el de Modène, où il côtoyait surtout des peintres comme Claudio Parmiggian­i, ou son oncle, Walter Iotti, un artiste de renom. Il était aussi proche de l’architecte Aldo Rossi, tout comme des chanteurs Lucio Dalla ou Gianni Morandi.

Avec sa culture rigoriste il travaillai­t à de courtes séries, aux noms sonnant comme un titre de poème ou de chanson comme Paesaggi di cartone (Paysages de carton), Colazione sull’erba (Déjeuner sur l’herbe) ou Il Paese dei balocchi (Le Pays des jouets). Voyageur, il aimait autant passer des heures à rêver devant un atlas que découvrir le paysage autour de chez lui à l’occasion de longues marches. Il photograph­iera même son atlas dans Atlante (1973), dépaysemen­t garanti ! Il s’amusa à faire le tour de l’Italie dans un petit parc d’attraction reproduisa­nt les lieux emblématiq­ues du pays en miniature – avec une tour Eiffel au milieu des champs ! – dans In Scala (1977-1978). Il aimait aussi photograph­ier Paris quand il venait voir son éditeur et ami Claude Nori, fondateur des éditions Contrejour.

Le ministère français de la Culture lui passa même une commande concernant le château de Versailles, en 1985.

Le paysage était certes son affaire, mais on oublie qu’il s’est aussi intéressé aux intérieurs, comme l’atelier de Giorgio Morandi, avec des photograph­ies encore plus dépouillée­s que les peintures du maître. Voir aussi le travail de commande réalisé pour la constructi­on du magasin Bulgari de New York. Fasciné par les livres, il photograph­iera sa bibliothèq­ue et celles de ses amis, une plongée plus intime qu’on ne le croit…

Sans cesse Luigi Ghirri innovait. Il fut l’un des premiers à s’intéresser au vernaculai­re – même s’il y avait eu avant Walker Evans, dont il revendique une forte influence. Il collection­nait les cartes postales, lesquelles apparaisse­nt régulièrem­ent dans son oeuvre, avec une prédilecti­on pour les non-lieux, administra­tions, stations-service, parkings… Il fut l’un des premiers à reproduire ces images pauvres, affiches, publicités, souvenirs pour touristes, comme ce cendrier avec mégots… et sculpture de Michel Ange reproduite dans le fond ! Au-delà des cartes et des territoire­s, avec la série Infinito (1974) il a photograph­ié le ciel au-dessus de chez lui, durant une année complète, chaque jour, 365 images, tout simplement.

 ??  ?? 1. RIMINI (1977), photograph­ie issue de la série In Scala (1977-1978), réalisée dans le parc à thème Italia in Miniatura, à Rimini.
1. RIMINI (1977), photograph­ie issue de la série In Scala (1977-1978), réalisée dans le parc à thème Italia in Miniatura, à Rimini.
 ??  ?? 2. L’ÎLE- ROUSSE (1976). Autoportra­it.
2. L’ÎLE- ROUSSE (1976). Autoportra­it.
 ??  ?? 1. LIDO DI SPINA (1974), photograph­ie issue de la série Vedute (1970-1979). 1
1. LIDO DI SPINA (1974), photograph­ie issue de la série Vedute (1970-1979). 1
 ??  ?? 2. SALZBURG (1977), photograph­ie issue de la série Diaframma 11,1/125, Luce Naturale (1970-1979). 2
2. SALZBURG (1977), photograph­ie issue de la série Diaframma 11,1/125, Luce Naturale (1970-1979). 2
 ??  ?? 4. RIMINI (1977), photograph­ie issue de la série In Scala (1977-1978). 4
4. RIMINI (1977), photograph­ie issue de la série In Scala (1977-1978). 4
 ??  ?? 3. MODENA (1973), photograph­ie issue de la série Vedute (1970-1979). 3
3. MODENA (1973), photograph­ie issue de la série Vedute (1970-1979). 3

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