Le monde selon Luigi Ghirri
Une rétrospective au Jeu de Paume rend hommage au photographe italien à travers ses clichés en couleur sans équivalent dans l’Europe des années 1970.
Les clichés des années 1970 du photographe italien s’exposent au Jeu de Paume.
Luigi Ghirri ne prenait pas de photographies, il se considérait comme un cartographe. Longtemps géomètre, il a troqué le théodolite pour un appareil photo. Mais de son métier il a gardé l’absence de fioritures, une approche frontale, un sujet, point. Au départ, il photographiait les paysages qui lui étaient familiers et sur lesquels il avait travaillé lors de son précédent métier, comme la ville de Modène et sa périphérie commençant à envahir la campagne. Il a composé un catalogue inédit de rues, architectures, mais aussi portes, fenêtres, carreaux, typologie des maisons et jardins de la classe moyenne naissante. « Je n’ai pas cherché à faire des photographies mais des cartes, des mappemondes qui soient aussi des photographies » était son leitmotiv.
L’importance du paysage
Né en 1943 à Scandiano, dans la province d’Émilie-Romagne, mort en 1992, Luigi Ghirri est un photographe important dans la très courte histoire de la photographie italienne, et une influence majeure de la photographie européenne, surtout avec son livre Kodachrome (1978), le pendant européen du William Eggleston’s Guide de John Szarkowski (1976). Un livre tout en couleur du nom de la fameuse pellicule Kodak aujourd’hui disparue, un coup de poing visuel à l’époque où la couleur était jugée vulgaire et tout juste bonne pour la publicité ou les photos souvenirs.
Il a révélé aux Italiens l’importance du paysage qui les entoure. Un challenge dans un pays marqué physiquement mais aussi intellectuellement par une longue histoire, pesante voire étouffante, où chaque kilomètre carré regorge de traces
de la splendeur romaine. Sa formation, il l’a acquise en fréquentant le milieu intellectuel de Modène, où il côtoyait surtout des peintres comme Claudio Parmiggiani, ou son oncle, Walter Iotti, un artiste de renom. Il était aussi proche de l’architecte Aldo Rossi, tout comme des chanteurs Lucio Dalla ou Gianni Morandi.
Avec sa culture rigoriste il travaillait à de courtes séries, aux noms sonnant comme un titre de poème ou de chanson comme Paesaggi di cartone (Paysages de carton), Colazione sull’erba (Déjeuner sur l’herbe) ou Il Paese dei balocchi (Le Pays des jouets). Voyageur, il aimait autant passer des heures à rêver devant un atlas que découvrir le paysage autour de chez lui à l’occasion de longues marches. Il photographiera même son atlas dans Atlante (1973), dépaysement garanti ! Il s’amusa à faire le tour de l’Italie dans un petit parc d’attraction reproduisant les lieux emblématiques du pays en miniature – avec une tour Eiffel au milieu des champs ! – dans In Scala (1977-1978). Il aimait aussi photographier Paris quand il venait voir son éditeur et ami Claude Nori, fondateur des éditions Contrejour.
Le ministère français de la Culture lui passa même une commande concernant le château de Versailles, en 1985.
Le paysage était certes son affaire, mais on oublie qu’il s’est aussi intéressé aux intérieurs, comme l’atelier de Giorgio Morandi, avec des photographies encore plus dépouillées que les peintures du maître. Voir aussi le travail de commande réalisé pour la construction du magasin Bulgari de New York. Fasciné par les livres, il photographiera sa bibliothèque et celles de ses amis, une plongée plus intime qu’on ne le croit…
Sans cesse Luigi Ghirri innovait. Il fut l’un des premiers à s’intéresser au vernaculaire – même s’il y avait eu avant Walker Evans, dont il revendique une forte influence. Il collectionnait les cartes postales, lesquelles apparaissent régulièrement dans son oeuvre, avec une prédilection pour les non-lieux, administrations, stations-service, parkings… Il fut l’un des premiers à reproduire ces images pauvres, affiches, publicités, souvenirs pour touristes, comme ce cendrier avec mégots… et sculpture de Michel Ange reproduite dans le fond ! Au-delà des cartes et des territoires, avec la série Infinito (1974) il a photographié le ciel au-dessus de chez lui, durant une année complète, chaque jour, 365 images, tout simplement.