La vie en Mexicolor
À Mérida, l’artiste cubano-américain Jorge Pardo a redonné vie et couleurs à un palais traditionnel, jouant des contraintes pour créer un lieu vibrant et accueillant.
À Mérida, l’artiste cubanoaméricain Jorge Pardo a redonné vie et couleurs à un palais xViie.
Jorge Pardo aime créer. Et l’artiste d’origine cubaine, qui partage son temps entre New York et Mérida, crée beaucoup. L’année passée, il a mis la touche finale à un vaste projet destiné à l’éditeur Benedikt Taschen à Malibu ainsi qu’à L’Arlatan, l’hôtel baroque de Maja Hoffmann à Arles (voir AD no150), mais surtout, il y a sa maison, une oasis fortifiée à Mérida, dans la capitale du Yucatán. Là, il se consacre à sa passion, l’artisanat traditionnel de carreaux de céramique – l’un de ses matériaux fétiches – aux formes et aux couleurs tout droit sorties de son imagination. Lorsqu’il en fit l’acquisition, la propriété n’était rien de plus qu’une façade en ruine et un grand jardin qui, comme de nombreuses maisons de Mérida, s’étendait à l’arrière d’une rue étroite. « Un terrain de football, explique Jorge Pardo,
14 mètres de large et 90 mètres de profondeur. » De la rue, ces résidences du xviie siècle ont un aspect faussement modeste, ne révélant leurs multiples jardins intérieurs, cours et ailes qu’une fois passé la porte.
La société de conservation locale exigeant que la hauteur de plafond de près de 6 m soit conservée, l’artiste en a profité pour créer un espace spectaculaire, ajoutant, au gré de ses interventions, une touche de magie à la pièce, comme ce canapé pour seize personnes qu’il a incrusté de crânes à chaque coin. « Je tenais à ce que les meubles soient décorés », s’amuse-t-il. De même, l’un des murs est presque entièrement recouvert d’une peinture de Willem de Kooning numérisée et retravaillée puis agrandie ; les hautes fenêtres à motifs géométriques qui donnent sur les jardins intérieurs sont habillées d’imprimés et de dentelles superposés pour créer des tons et des répétitions de couleurs surprenantes : « Seuls, ils ne seraient pas aussi intéressants ; doublés, ils sont complémentaires, voire dissonants. »
Dans un joyeux mélange de couleurs, la vie est belle dans ce palais aux ouvertures spectaculaires.
Passé ce premier bâtiment, qui comprend l’entrée, une cuisine de réception et une cave à vin dont Jorge Pardo prend grand soin, l’artiste fut libre de rénover à sa guise. En résulte une succession de trois structures, ponctuées de pelouses, d’arbres et d’une piscine accessible depuis l’extérieur ou directement depuis le salon. « Ce n’est pas une maison où l’on va dans le jardin, mais où l’on est dans le jardin, poursuit-il. Il faut le traverser pour entrer et sortir de la maison. » Planté de bananiers et de manguiers, de cactus, de buissons de piment, d’oiseaux de paradis et d’autres espèces locales, le jardin est si luxuriant qu’il « se transforme à vue d’oeil ».
Une immense cage à oiseaux
Le bloc central, où Jorge Pardo avoue passer 90 % de son temps, contient la cuisine et le salon de tous les jours. Une grande pièce ouverte des deux côtés « comme une cage à oiseaux où il fait bon vivre » et, en effet, la bande-son de la maison se compose de cris aigus et de trilles d’oiseaux tropicaux accompagnant leurs joyeux ballets aériens. La hauteur du plafond – un peu plus de 4 mètres – est légèrement moins extravagante que celle de l’entrée, tout en restant idéale pour mettre en valeur la constellation de suspensions découpées au laser créées par l’artiste, leurs formes et leurs couleurs inspirées de fruits : gousses de cacao ou papaye… Autre signature de Jorge Pardo, les sols réinventés sous forme de peintures abstraites, conçus sur ordinateur et soigneusement reproduits à l’aide de carreaux de céramique colorés. L’artiste a élaboré une palette de six à sept tonalités pour chaque aile de la maison. L’escalier et les terrasses de la partie nuit sont par exemple traités dans des variations de bleu pâle et de vert céleste, supprimant la frontière entre ciel et jardin. Les prototypes des rocking-chairs créés pour L’Arlatan sont disposés sur une terrasse, des tables, des vases, et des éditions expérimentales parsèment la maison, donnant à l’intérieur son aspect ludique et informel, et inspirant à son propriétaire le dernier mot : « La maison fait environ 200 mètres carrés, mais elle est tout à fait vivable seul. Elle est décontractée, on peut y laisser traîner ses chaussures… »