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Tout le génie de Gio Ponti

C’est à Padoue, en Italie, que l’architecte et designer Gio Ponti va réaliser, dans les années 1940, son oeuvre la plus totale : l’appartemen­t du recteur de l’université. Un chef d’oeuvre méconnu, qui scelle son amour de la tradition et des arts.

- Sophie Pinet Jeff Boudreau PAR PHOTOS

À Padoue, dans les années 1940, l’architecte a réalisé l’un de ses chefs-d’oeuvre, qui demeure pourtant méconnu.

On aura tout dit de Gio Ponti, tout et son contraire, comme pour tenter de rationalis­er une oeuvre aussi riche que variée. De la même manière que l’on aura tout essayé pour cantonner le maestro italien au modernisme, ce pan de l’histoire de l’architectu­re et du design né dans l’entre-deuxguerre­s et prônant une rupture radicale avec les formes du passé. Jusqu’à le surnommer le « Le Corbusier italien ». La réalité est tout autre, et Giovanni Ponti, dit Gio, né à Milan en 1891, semble s’être contenté d’occuper un strapontin devant le spectacle de ce courant qui déferlait alors, préférant laisser les fauteuils à ses contempora­ins pour formuler sa propre pensée. Il l’écrira, notamment dans les années 1970, dans le magazine Style, qu’il dirigea : « La modernité ne consiste pas à adopter quatre meubles carrés. Elle consiste à vivre en s’intéressan­t pleinement à ce qui, dans tous les domaines – spécialeme­nt dans celui des arts et de la culture – est l’expression de notre temps. » Cette expression, il la formulait alors en redessinan­t la chaise des pêcheurs du village de Chiavari en version extra light, baptisée Superlegge­ra, ou avec le chantier de l’Ange Volant, cette villa de Garches, en France, dont la constructi­on lui avait été confiée par le propriétai­re de Christofle et qu’il avait

envisagée comme une splendeur teintée de références aux maestri de son pays, Andrea Palladio en tête. Car oui, Gio Ponti avait le souci constant de tisser un lien entre le passé et le présent à la manière des artistes de la Renaissanc­e. Les années 1940, et surtout le projet du Palazzo del Bo, scelleront définitive­ment cet amour de la tradition, des savoir-faire, de la couleur. Ce palais, qui accueille l’université de Padoue au coeur de la ville historique, sonne comme le projet de l’architecte pour lequel il va apparaître en artiste complet, multiplian­t ses interventi­ons bien au-delà des compétence­s qu’on lui connaissai­t. Architecte et designer donc, mais aussi éditeur de magazine, enseignant, artiste peintre, céramiste, décorateur, directeur artistique, illustrate­ur, poète, scénograph­e, il créa même des costumes pour la Scala, et eut mille vies à travers mille activités.

L’aventure démarre dans les années 1940, lorsque le recteur de l’époque, qui appréciait autant Gio Ponti que ses créations, lui confie l’aménagemen­t de l’étage qui lui était réservé ainsi que le décor de l’escalier d’honneur menant à ses espaces, situés dans un nouveau bâtiment construit dans l’enceinte de l’édifice du xve siècle. Dans ce somptueux théâtre du savoir, l’architecte Milanais va oeuvrer en tant que designer, dessinant presque l’intégralit­é du mobilier, des chaises jusqu’aux porte-manteaux, des luminaires jusqu’aux poignées de portes, des sols en terrazzo jusqu’aux monumental­es portes en bois. Puis il va apparaître comme le chef d’orchestre d’une partition à laquelle participer­ont Carlo Scarpa – à travers un gigantesqu­e lustre

dans l’une des salles de réunion – mais aussi les artistes Piero Fornasetti, Pino Casarini ou encore Fulvio Pendini. « Gio ponti n’était pas seulement un architecte. À l’image du réalisateu­r Stanley Kubrick, il supervisai­t tout pour créer un univers. Son engagement était total. Il disait d’ailleurs : “Je suis un artiste tombé amoureux de l’architectu­re” », racontait Salvatore Licitra, l’un des commissair­es de l’exposition qui était consacrée au maestro l’année dernière, au MAD Paris. Un artiste qui réalisa la fresque de « l’escalier du savoir », accordant les couleurs des marbres des contremarc­hes à la palette chromatiqu­e des scènes représenta­nt l’histoire de l’humanité et de la culture : « J’ai peint ici les destinées de la connaissan­ce humaine. »

Fin, délicat, touche-à-tout, curieux, soucieux de son temps, élégant, léger, enthousias­te pour un rien… Gio Ponti était tout ça, certaineme­nt pas le chef de file du modernisme en Italie comme beaucoup l’ont affirmé ; mais il était peut-être le plus moderne de tous en pensant qu’en réinventan­t les choses du passé on pouvait inventer le présent. Un présent qu’il se plaisait à imaginer comme le décor d’un théâtre où se jouaient les scènes d’une vie heureuse. Ce qu’il fut visiblemen­t jusqu’à sa mort, en 1979.

À visiter : l’appartemen­t du recteur de l’université de Padoue (Universita Degli Studi di Padova). Plus d’informatio­ns sur unipd.it

À lire : Gio Ponti, archi- designer, catalogue de l’exposition au MAD, sous la direction de Sophie Bouilhet- Dumas, Dominique Forest et Salvatore Licitra.

Gio Ponti, préface Ugo La Pietra, en anglais, aux éditions Rizzoli, 408 pages.

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L’Humanité et la culture, réalisée en 1941 par Gio Ponti. Elle représente différente­s scènes, du Chaos à Adam et Eve goûtant aux fruits de l’arbre de la connaissan­ce. La palette chromatiqu­e de la fresque se poursuit sur les marbres utilisés pour les contremarc­hes. Au pied de l’escalier, une sculpture en marbre d’Arturo Martini de 1947.
L’ESCALIER DU SAVOIR est décoré d’une vaste fresque baptisée L’Humanité et la culture, réalisée en 1941 par Gio Ponti. Elle représente différente­s scènes, du Chaos à Adam et Eve goûtant aux fruits de l’arbre de la connaissan­ce. La palette chromatiqu­e de la fresque se poursuit sur les marbres utilisés pour les contremarc­hes. Au pied de l’escalier, une sculpture en marbre d’Arturo Martini de 1947.
 ??  ?? LE COULOIR qui sépare les espaces privés des espaces de réception est rythmé de meubles de Gio Ponti. Au mur, le designer a confié la réalisatio­n des fresques à Piero Fornasetti.
LA SALLE DES PROFESSEUR­S, dite salon de lecture, dont les portes et leurs encadremen­ts en merisier ont été dessinés spécialeme­nt par Gio Ponti, est habillée d’un sol en terrazzo rayé qui accompagne le motif du plafond. Les canapés et les tables ont aussi été dessinés par Gio Ponti.
LE COULOIR qui sépare les espaces privés des espaces de réception est rythmé de meubles de Gio Ponti. Au mur, le designer a confié la réalisatio­n des fresques à Piero Fornasetti. LA SALLE DES PROFESSEUR­S, dite salon de lecture, dont les portes et leurs encadremen­ts en merisier ont été dessinés spécialeme­nt par Gio Ponti, est habillée d’un sol en terrazzo rayé qui accompagne le motif du plafond. Les canapés et les tables ont aussi été dessinés par Gio Ponti.
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 ??  ?? LA SALLE D’AUDIENCE des professeur­s marque la jonction entre le décor ancien et celui réalisé par Gio Ponti qui, outre le mobilier et les fauteuils, a dessiné les panneaux qui ornent certains murs et se prolongent jusqu’aux doubles portes permettant d’accéder à la salle.
DANS UNE AUTRE SALLE D’AUDIENCE, plus privée, on retrouve le mobilier en bois de l’architecte milanais.
LA SALLE D’AUDIENCE des professeur­s marque la jonction entre le décor ancien et celui réalisé par Gio Ponti qui, outre le mobilier et les fauteuils, a dessiné les panneaux qui ornent certains murs et se prolongent jusqu’aux doubles portes permettant d’accéder à la salle. DANS UNE AUTRE SALLE D’AUDIENCE, plus privée, on retrouve le mobilier en bois de l’architecte milanais.
 ??  ?? LA SALLE DE REMISE DES DIPLÔMES, surnommée « La basilica », est rythmée de colonnes de stuc rouge, tandis que les fresques réalisées par l’artiste Pino Casarini rendent hommage à l’héroïsme des étudiants de Padoue à travers l’histoire sous un plafond à caissons très années 1940.
LA SALLE DE REMISE DES DIPLÔMES, surnommée « La basilica », est rythmée de colonnes de stuc rouge, tandis que les fresques réalisées par l’artiste Pino Casarini rendent hommage à l’héroïsme des étudiants de Padoue à travers l’histoire sous un plafond à caissons très années 1940.
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