Éclectique et enchanteur
Dans le Xe arrondissement de Paris, le designer de chaussures Corrado De Biase s’est inventé un appartement baroque et foisonnant, à son image.
Il y a presque deux ans, le créateur de chaussures Corrado De Biase investissait un appartement du Xe arrondissement de Paris, séduit par ses décors de moulures évocateurs d’un passé aristocratique. Il nous fait visiter auourd’hui ce lieu transformé à son image.
D’origine italienne, des Pouilles précisément, le designer de souliers Corrado De Biase vit depuis des années à Paris. Il s’est récemment installé dans un appartement du Xe arrondissement proche de la rue de Paradis qu’il a entièrement métamorphosé. Il nous raconte cette aventure.
Un coup de foudre
« J’avais besoin d’espace et je cherchais un appartement avec un jardin ou une terrasse, mais j’ai visité celui-ci, et les reliquats de sa vie passée – il aurait été habité par une comtesse, une duchesse… – m’ont charmé. J’ai su que je pourrais en faire quelque chose à mon image. Ici, aujourd’hui, c’est mon ancien appartement puissance cinquante : chaque pièce est différente de l’autre, comme si l’on traversait sept appartements différents, de l’entrée au salon “marocain”, à la salle à manger-jardin d’hiver puis à la chambre, et jusqu’à la cuisine, en passant par la garde-robe – sans oublier la salle de bains. »
Une révélation
« Je l’ai eue à l’hôtel Royal Mansour, à Marrakech, la première fois que j’y suis allé. Partout, dans chaque riad, tout est décoré, orné, travaillé… J’ai compris que l’on pouvait se sentir complètement dépaysé par le simple fait d’un décor, sans aucune connexion avec ce qu’il se passait autour, et que l’on n’avait donc pas besoin de respecter les règles de l’extérieur. Dans ce sens, je me sens proche de des Esseintes, le personnage du roman À Rebours de Joris-Karl Huysmans, que j’adore. »
Des intuitions
« En matière de décoration, les choix ont été très rapides ; tout était déjà dans ma tête. Côté rue, j’avais envie d’un salon qui m’évoque le Maroc et Marrakech, alors que dans la pièce qui donnait sur la cour j’ai tout de suite vu un jardin d’hiver, où j’ai eu envie d’évoquer la nature artificielle avec une moquette à palmes, beaucoup de vert, des chaises en bambou… J’ai procédé spontanément : par exemple, dans le salon, je voulais le canapé Tufty-Time de Patricia Urquiola pour B& B Italia, mais tapissé de velours léopard ; on ne pouvait bien sûr pas faire un essai, il a fallu se lancer (avec un superbe velours Nobilis)… Eh bien j’étais aux anges en le recevant, c’est exactement ce que je voulais. »
Le chantier
« J’avais des idées, et mon architecte, Noël Dominguez-Truchot (cabinet NDA), a tout sublimé. Lui, les artisans qui ont travaillé sur le chantier, les galeristes comme Laurence Vauclair qui m’ont beaucoup aidé, ont tout fait en respectant mes envies, et je crois qu’ils ont trouvé cela très divertissant. C’était comme une performance ! Maintenant, on verra si j’aime, je m’habitue à vivre ici. »
La lumière
« J’adore qu’une maison soit sombre, pour moi la lumière n’est pas un atout. Je reproduis artificiellement une lumière que j’aime, ma lumière à moi. »
Mes inspirations
« Avant tout, Tony Duquette ! (Décorateur américain célèbre pour son approche maximaliste des intérieurs, façon “more is never enough”, cf AD 87 d’octobre 2009, ndlr.) Mon rêve absolu serait de vivre dans une maison qu’il aurait décorée… Lui et sa femme osaient tous les mélanges, avec des objets qui venaient du monde entier. »
Les céramiques
« J’adore en acheter, sans jamais les voir comme un investissement : quand j’achète, la valeur économique n’a pas d’importance. J’ai des pièces de Clément Arnaud, de Victor Levai, Anne-Sophie Gilloen – mais j’aime celles de Picasso aussi. »
Un acheteur compulsif
« J’achète tout le temps, j’adore ça. Dans des galeries, aux puces de Saint-Ouen, au Maroc, en Italie, à L.A… où que j’aille. La plupart des choses qui sont ici ont été acquises pendant les travaux, et cela va continuer. Je déteste l’idée d’acheter des objets ou des meubles pour qu’ils aillent ensemble. Je choisis des choses que j’aime et on verra. Je leur trouverai une place. Et quand une chose ne me plaît plus, elle disparaît. Je n’ai pas de véritable attachement aux objets, c’est une évolution constante, au fil de mon esthétique du moment. »
La décoration
« Je ne comprends pas comment on peut décorer la maison de quelqu’un d’autre. Pour moi, impossible ! « Je ne demande l’avis de personne, je n’accepte pas les conseils – ce qui peut être mal pris. Je ne sais pas si quelqu’un d’autre que moi pourrait vivre ici… Cet appartement est à mon image, il est pour moi – d’ailleurs je déteste recevoir. Cela dit, je suis toujours insatisfait : on peut toujours avoir mieux, plus beau. Je cherche la beauté parfaite. »
J’aime, je déteste
« Je déteste le “chic”, l’“élégance”. J’adore ce qui est “tacky” (un peu vulgaire, de mauvais goût, ndlr). J’aime aussi les meubles d’Aldo Turra (designer-fabricant italien du xxe siècle, ndlr), les tapisseries de Jean Picart Le Doux ou Jean Lurçat, les toiles du peintre néerlandais César Domela mais, plus que des signatures, je recherche des sensations. »
La beauté des métiers
« S’il y a une chose que j’aimerais dire avec cet appartement, c’est la beauté des métiers de la décoration. Tous les gens que j’ai rencontrés, des antiquaires aux artisans, des éditeurs de tissus comme de moquette ou de papiers peints, ont un amour incroyable pour ce qu’ils font, dans les moindres détails, ainsi qu’un respect inouï des savoir-faire. Il faut oser aller découvrir leur monde. »
« J’adore qu’une maison soit sombre.
J’y reproduis artificiellement une lumière que j’aime, ma lumière à moi. »
—— Le créateur Corrado De Biase