Classique pop
Beaucoup de liberté dans les couleurs, d’audace dans les associations des matières et des oeuvres d’art, voilà ce qui fait la force de ce pied-à-terre réalisé par l’architecte d’intérieur Rodolphe Parente.
Pour ce pied-à-terre du quartier Bac-Saint-Germain, lorsque le propriétaire donne carte blanche à l’architecte d’intérieur Rodolphe Parente – « Cette “boîte”, tu en fais ce que tu veux, en revanche je veux me sentir chez moi, pas chez quelqu’un d’autre » –, il lui demande également de lui dessiner plusieurs pièces de mobilier : le canapé, les têtes de lits, la table de salle à manger… Tout le jeu a donc consisté à se baser sur une partie des pièces et oeuvres que possède déjà ce collectionneur à l’oeil affûté – antiquaire dans l’une de ses nombreuses vies passées – et à amalgamer cette richesse de styles dans un projet où l’on vit avec les choses plutôt que d’en être spectateur.
Une (grande) part d’audace a donc présidé à l’ajout de nouvelles oeuvres d’art, à la volonté d’en conserver d’autres, puis dans la manière de les montrer : deux peintures alsaciennes du xviie siècle qui, par leur accrochage en angle, bénéficient d’une relecture contemporaine ; des céramiques de Jean-Marie et Marthe Simonet associées à d’autres de Pablo Picasso et à des pièces uniques du jeune éditeur Maison Intègre ; des oeuvres de l’artiste mexicaine Pia Camil, une photographie de Walter Pfeiffer – dont ne voit d’abord que les couleurs avant de comprendre qu’il s’y passe quelque chose –, un triptyque de Laurent Grasso… Ce subtil mélange de choses qui n’ont a priori rien à faire ensemble tisse une histoire qui n’est pas datée dans le temps et dépasse la notion même de style, le tout dans une atmosphère purement parisienne parquet-moulures-cheminée.
La couleur étant apportée par l’art, murs et plafonds ont été travaillés dans une palette plus douce, du rose poudré au gris tabac, qui épouse les subtiles variations de la lumière dans cet appartement traversant. Et puisque l’idée était de façonner un lieu facile à vivre – un « antimusée » –, des respirations ont été créées, des perspectives utilisées grâce aux pièces en enfilade avec, dans une chambre, un élément violet – une oeuvre de Jacin Giordano – qui, à la façon d’un drap de scène, attire et intrigue par sa couleur, sa matière. Un jeu qui se poursuit dans le salon aux subtils tons de verts qui deviennent gris ; un canapé aux codes années 1930 dessiné par Rodolphe Parente multipliant les éléments de détail forts – tels son dos et son piètement laqués –, adoptant une forme contemporaine qui juxtapose les styles. Dans la chambre, la tête de lit travaillée en laiton cognac émaillé est associée à une base en drap de laine, dans un mélange où tout se connecte, se répond, en strates. Comme le confie l’architecte, « cet appartement est presque un projet autour de la juxtaposition, entre ici une matière dure avec de la laine, là un tapis en tissage brut avec une assise seventies en plastique. Ce rapport de matières m’intéressait vraiment. » Avec aussi une place laissée pour le vide, la lumière seule protagoniste dans ses reflets, dans la façon qu’elle a de s’accrocher sur un choix de couleurs, de pénétrer dans une pièce pour se réfléchir dans une lampe et créer un halo. Tout fonctionne dans une forme de nervosité : l’oeil se pose sur des impacts légèrement colorés, des jets de lumière et des reflets s’accrochent sur des surfaces mates, d’autres brillantes, dans des contrastes résolument graphiques. Une polysémie et un éclectisme traduisant la grande liberté et l’audace qui sont la marque des univers forts.
Les tonalités douces associées à des oeuvres colorées créent un style vivant, nerveux et maîtrisé.