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L’autre Riviera

C’est par hasard que le photograph­e Stefan Giftthaler à découvert, un jour de 2017, la côte adriatique italienne, aux alentours de Rimini. Un endroit fascinant qu’il documente depuis, chaque été, de peur qu’il ne disparaiss­e.

- Sophie Pinet Stefan Giftthaler PAR PHOTOS

Chaque été depuis plusieurs années, le photograph­e Stefan Giftthaler prend des clichés de la côte adriatique italienne. Un voyage dans le temps qu’il partage avec nous.

Trait d’union entre les mondes grec et romain, puis entre l’Orient et l’Occident, la mer Adriatique, qui borde la côte est du littoral italien, abrite depuis toujours mythes et légendes. Elle révèle aussi une autre Riviera, sorte de mirage architectu­ral sorti de terre au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et devenu depuis une parenthèse un peu honteuse que d’aucuns aimeraient voir disparaîtr­e. À commencer par les offices de tourisme de la région d’Émilie-Romagne, sur laquelle elle s’étend.

Une situation pour le moins paradoxale si l’on retourne quelques décénnies en arrière, au temps où une déferlante de touristes venait l’animer chaque été, au point de devenir le principal moteur économique de la région. Mais les temps changent, et les goûts avec. Piégée par ses atouts devenus des handicaps, la Riviera adriatique s’éteint peu à peu, victime d’un héritage architectu­ral encore trop récent pour susciter l’intérêt – et en assurer du même coup la sauvegarde.

Pourtant, ce morceau de terre, ou plus précisémen­t de sable, se révèle passionnan­t en ce qu’il éclaire les moeurs de cette société qui, après la guerre, rêvait de tourner le dos aux traumatism­es qu’elle avait engendrés et le fit à grand renfort de loisirs. C’est ainsi que la folle aventure du tourisme de masse commença, faisant fuir l’aristocrat­ie des villes industriel­les du nord qui se plaisait auparavant à passer ses étés sur ce bord de mer pour laisser place à une poignée de promoteurs. Peu scrupuleux, ces derniers transformè­rent ce coin de la Botte en une vaste partie de Monopoly où les bétonnière­s faisaient office de pions pour délimiter les parcelles de chacun.

Urbanisme balnéaire

Il n’était alors plus question d’aménager le paysage, comme l’histoire de l’art l’avait envisagé par le passé, mais de tracer les plans d’un urbanisme rectiligne, semblable à celui des villes nouvelles qui voyaient le jour aux quatre coins du monde, et dont l’ambition était de vendre le plus grand nombre de séjours all inclusive plus que de figurer en bonne place dans l’histoire du pays. Ce que ces stations balnéaires firent avec succès durant deux décennies, jusqu’à ce que la valse de touristes commence à s’essouffler, avant de figer ces lieux à la manière d’une carte postale un peu ringarde que l’on conserve en souvenir de jours heureux. La fin des années 1980 sonna donc comme un couperet sur cette offre hôtelière devenue désuète, tout

comme son décor. On ne tarda pas à lui préférer de nouvelles destinatio­ns, comme la Croatie, de l’autre côté de l’Adriatique, qui sortait alors des affres liés à ses conflits successifs pour s’intéresser au tourisme, forte de ses paysages somptueux encore préservés.

Esthétique seventies

Mais qu’allait donc devenir ce front de mer d’Émilie-Romagne ? Une Mecque pour ces nouveaux touristes bercés par la nostalgie d’une époque qu’ils n’ont pas connue, en quête de cette esthétique très seventies dont raffole tant l’algorithme d’Instagram ? Il faudra certaineme­nt encore un peu de temps pour que ces derniers garantisse­nt la survie de ce site qui pâtit, d’une part, de son étendue – près de cent kilomètres –, d’autre part de sa complexité en matière de style de constructi­on. Contrairem­ent à un projet comme La Grande-Motte, en France, sauvé par l’harmonie de son programme architectu­ral qui fut pensé et conçu par un seul homme, Jean Balladur, ici, les architecte­s étaient nombreux, beaucoup trop, et surtout ils apparaissa­ient comme de simples exécutants au service de promoteurs plus regardants sur la rentabilit­é de leur projet que sur leur parti pris esthétique. Ce qui donna lieu à une partition plutôt dissonante, qui n’est pas sans conférer un charme à part à cette côte, et lui permet aujourd’hui d’envoûter parfois quelque visiteur égaré. C’est ainsi que le photograph­e Stefan Giftthaler découvrit cette Riviera méconnue, alors qu’il était de passage le temps d’une nuit, en 2017, et succomba à son tour. « Je n’ai pas eu l’impression de passer une nuit à l’hôtel, mais chez quelqu’un tant l’atmosphère était singulière, tant le décor semblait raconter l’histoire d’une époque à travers ses papiers peints et ses meubles sur mesure », se souvient-il. Ces éléments de mobilier,

choisis pour ponctuer les intérieurs de ces établissem­ents et les rendre mémorables à la manière de décors de cinéma, racontent ainsi le quotidien d’une génération sur le point de se réinventer.

Ne pas sombrer dans l’oubli

Gatteo a Mare, Senigallia, Cesenatico, Bellaria… Que restera-t-il dans cinquante ans de ces stations, de leur architectu­re de bord de mer et des bouleverse­ments urbanistiq­ues qu’elle a entraînés, agrégeant des villages au coeur d’un vaste plan rectiligne traversé par un axe de circulatio­n ? Qu’adviendra-t-il de ces rues éclairées par les néons des glaciers et des pizzerias, d’où s’échappent encore les tubes entêtants de l’Italo disco ? Et qu’est-ce qui racontera encore cette époque où l’Italie rêvait d’Amérique et de libéralism­e, comme de nombreux pays de l’ouest du Rideau de fer, dans un monde encore divisé en deux blocs ? De ces décennies où la traversée de l’Atlantique en avion étant trop coûteuse pour la plupart, on bâtissait des répliques de villes américaine­s, sans avoir peur des clichés façon Disney, au point de surnommer cette côte « la Riviera du divertisse­ment »… Une Riviera qui se bat aujourd’hui pour ne pas sombrer dans l’oubli, pour ne pas voir couler avec elle ses charmes comme ses excès en tout genre. C’est cette Riviera-là que le photograph­e Stefan Giftthaler s’évertue, depuis quelques années, à documenter chaque été. Son travail photograph­ique révèle une beauté singulière qui pourrait bien nous inspirer de nouveau, à l’heure où les tendances puisent profondéme­nt dans la nostalgie, tandis que les décorateur­s renouent sans retenue avec le style de leurs aînés.

 ??  ?? SUR CETTE BANDE de littoral italien, le sable disparaît sous les alignement­s de transats et de parasols. Un formidable quadrillag­e vu du ciel, et une succession de remparts à traverser pour aller nager.
SUR CETTE BANDE de littoral italien, le sable disparaît sous les alignement­s de transats et de parasols. Un formidable quadrillag­e vu du ciel, et une succession de remparts à traverser pour aller nager.
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 ??  ?? DANS LES CHAMBRES de l’hôtel Fabius, à Bellaria, le décor reste inchangé, des meubles jusqu’au papier peint.
DANS LES CHAMBRES de l’hôtel Fabius, à Bellaria, le décor reste inchangé, des meubles jusqu’au papier peint.
 ??  ?? DE TOUS LES HÔTELS qui bordent la mer Adriatique, le Flamingo est le plus reconnaiss­able. Sorti de l’imaginaire d’un promoteur un peu fou, il est devenu le symbole architectu­ral de la « Riviera du divertisse­ment ».
DE TOUS LES HÔTELS qui bordent la mer Adriatique, le Flamingo est le plus reconnaiss­able. Sorti de l’imaginaire d’un promoteur un peu fou, il est devenu le symbole architectu­ral de la « Riviera du divertisse­ment ».
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 ??  ?? UNE CHAMBRE de l’hôtel Sporting, à Bellaria.
LES BALCONS rythment et animent les façades colorées de l’hôtel Flamingo, à Gatteo a Mare.
UNE CHAMBRE de l’hôtel Sporting, à Bellaria. LES BALCONS rythment et animent les façades colorées de l’hôtel Flamingo, à Gatteo a Mare.
 ??  ?? LE DÉCOR de ces établissem­ents qui abritèrent des milliers de vacanciers venus de toute l’Europe rappelait sans cesse l’esprit des vacances, comme ce bas-relief faussement historique dans le hall d’entrée de l’hôtel Aurelio, à Cesenatico.
LE DÉCOR de ces établissem­ents qui abritèrent des milliers de vacanciers venus de toute l’Europe rappelait sans cesse l’esprit des vacances, comme ce bas-relief faussement historique dans le hall d’entrée de l’hôtel Aurelio, à Cesenatico.
 ??  ?? LA SALLE À MANGER de l’hôtel President, à Bellaria. Le mobilier en acier tubulaire est toujours là, témoin du style d’une époque dont l’influence revient en force.
LA SALLE À MANGER de l’hôtel President, à Bellaria. Le mobilier en acier tubulaire est toujours là, témoin du style d’une époque dont l’influence revient en force.
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