Les fusils de chasse Montigny
Deux modèles et une trentaine d’années de production seulement
Un hammerless à chiens extérieurs ! C’est ainsi que l’on pourrait définir le Montigny. Un fusil incroyable, digne descendant des armes de Pauly et de Robert, victime précoce de Lefaucheux. Une arme rare et belle !
Ala fin du XVIIIe siècle, la famille des Montigny comporte une lignée de « gens dans les armes ». Ainsi un Montigny est fourbisseur à Paris, au 199, rue Honoré. Il se déclare « Fourbisseur de la Marine ». Son nom sur une lame, associé à la date de 1798, nous confirme l’époque de ses activités. Un mem bre de sa famille, peut- être Joseph Montigny, son fils, part pour Bruxelles où on le retrouve en 1820 « Arquebusier du Prince d’Orange ». Il exploite alors un brevet des frères Bastin pour un fusil de chasse à piston se chargeant par la culasse. Car le souci de tous les arquebusiers de cette époque est d’arriver à trouver un système efficace et sûr pour charger les armes par la culasse. Tout en exploitant ce système Bastin, Joseph Montigny poursuit lui aussi des recherches dans cette voie. Cela l’amène à créer tout à la fois une arme particulière et une cartouche. Il en dépose le brevet en 1833. De toute évidence, l’idée première de Joseph Montigny était de destiner sa création au marché militaire. Espérance commune à tous les arquebusiers puisque les débouchés d’un tel marché pouvaient assurer leur fortune. Ce ne fut pas le cas. Logiquement, il se tourne alors vers le milieu cynégétique. Ce sera l’avènement du premier fusil de chasse (monocoup) à ignition centrale par aiguille. Le Needham anglais ne verra le jour que dix-sept ans plus tard et le Dreysse prussien vingt-cinq ans (cf. Armes de Chasse n° 40). Par son aspect extérieur, ce premier fusil, avec sa longue tige actionnant la culasse positionnée sur le haut de la poignée, évoque un peu le Robert de 1831 (cf. Armes de Chasse n° 33). En réalité, ils n’ont rien de commun.
Un chien caché dans le pontet
Ce premier Montigny comporte une culasse mobile qui coulisse d’arrière vers l’avant sous l’effet d’un embiellage du clapet obturateur. Lui-même est commandé par la longue tige en à-plat sur le haut de la poignée. Le demi-oeillet de préhension terminant la tige est doublé par un cliquet qui verrouille l’ensemble en place. A l’abattu du clapet, la culasse mobile est poussée vers l’avant et la tête est introduite dans la chambre sur une dizaine de millimètres. Au centre du cylindre est perforé un canal dans lequel coulisse une tige à pointe d’aiguille. C’est elle qui assure la mise à feu lorsqu’elle perfore la pastille de fulminate contenue dans la cartouche. Le mécanisme de mise à feu est particulier également : non seulement il est à ignition centrale, mais c’est un « hammerless à chiens extérieurs ». Cette aberration sémantique mérite explication. En effet, si on observe ce fusil, aucun chien extérieur n’apparaît. Mais curieusement on remarque deux pontets se succédant et abritant chacun une détente : le pontet arrière avec une détente classique, le pontet avant avec une détente positionnée inversée. Cette dernière est en réalité la crête d’un chien qui a été montée la tête en bas. Donc, en la repoussant vers l’avant, la masse interne du chien bascule en position armée, alors que la butée de la détente vient se prendre dans le cran d’armement du chien. Un grand ressort bi lame à l’intérieur du support de pontet assure le fonctionnement du mécanisme. En pressant la détente, le chien est libéré et sa tête interne vient propulser le guide d’aiguille situé au-dessus. Etant donné le principe de mise à feu, le terme de percussion centrale est inapproprié à mon sens, puisqu’il n’y a pas de percuteur. Je préfère utiliser l’expression d’ignition centrale pour cette mise à feu par perforation d’une munition particulière. Particulière, cette munition l’est en effet. Elle est du type combustible, c’est-à-dire qu’elle est composée d’un étui en papier roulé en cylindre. Cet
étui contient la charge et se trouve fermé à la base par un carton concave collé. Au centre de la cuvette de ce carton est placée une pastille de fulminate tenue en place par une rondelle de papier ciré contrecollée. L’autre extrémité de la cartouche est obturée de façon différente selon qu’il s’agit d’une munition chargée à balle ou à grenaille. Pour la balle, qui est calepinée, l’extrémité de l’étui est pressée contre le calepin puis le tout englué de suif ou de cire. Pour la charge à grenaille de plomb, les bords de l’étui sont rabattus par plissage (le sertissage étoile avant la lettre !) et le tout fixé par une goutte de gomme arabique. Ainsi établie, la cartouche Montigny présentait de nombreux avantages. Le premier étant de pouvoir être fabriquée à domicile en toute tranquillité. Cela entraînant une régularité de chargement bien supérieure à celle obtenue sur le terrain avec les armes se chargeant par la gueule. Autre atout : une cartouche ainsi préétablie peut être transportée en parfait état de conservation dans les cartouchières à logements en bois ou laiton si particulières de cette époque. Le chargement et le déchargement de l’arme étaient très rapides. Sur le plan pratique, la mise à feu par aiguille assurait des départs sans ratés. La position de l’amorce au culot préservait l’aiguille, contrairement à ce qui se produisit plus tard avec les cartouches Dreysse dont l’amorce est collée à la bourre. L’aiguille devait traverser la charge de poudre pour atteindre l’amorce et, à la déflagration, était brûlée et s’altérait rapidement. Pas avec le Montigny. Sur le plan balistique, la charge enveloppée dans l’étui constitue le point fort de la cartouche combustible. Au départ du coup, la partie avant de l’étui part avec la charge. L’effet produit est celui des concentrateurs cylindriques en carton en vogue au début du XXe siècle.
Une cartouche changeante
Ainsi conçue, la cartouche du fusil Montigny est celle, dirons-nous, du type chasse classique. Mais quelques variantes ont existé. Tout d’abord, un modèle issu du type de guerre où l’amorce est fichée dans l’orifice d’un canal troué au travers d’un petit cube de bois, disposé en prime position à l’entrée de l’étui en papier roulé. Ainsi établie, la cartouche offre plus de rigidité au positionnement de l’amorce. En effet, lors des longues marches, les cartouches trop ballottées avaient tendance à être séparées de leur amorce fulminante. Dans le même esprit d’efficacité, ce dé de bois fut remplacé par un disque de cuivre troué ; cela pour les munitions exclusivement destinées à la chasse. Enfin, le nec plus ultra fut atteint en coiffant l’arrière de la cartouche d’un culot fait d’une mince feuille d’étain ou de plomb. Exactement comme les capsules de garantie qui coiffent le goulot de nos bouteilles de vin fin. Ainsi peaufinée, la cartouche se trouvait avec une amorce protégée des risques de décentrage ou de perte tout autant que de l’humidité. Un dispositif moins coûteux fut également adopté : le bas de la cartouche était plongé dans une composition particulière de vernis. Après séchage, cet enduit constituait également un culot protecteur efficace. Le Montigny modèle 1833 est essentiellement une arme à un seul canon. C’est seulement après le dépôt du
brevet de perfectionnement de 1839 qu’apparaît le modèle à canons juxtaposés. Le système de percussion a été judicieusement revu : l’armement est toujours manuel, mais c’en est fini du double pontet, c’est un levier galbé qui épouse l’avant du pontet. Il se termine en volute gracieuse qui rehausse la finition de l’arme. En poussant le levier vers l’avant, les deux chiens internes sont armés automatiquement. Le mécanisme d’ouverture reste le même dans son principe. Les têtes de culasse s’introduisant dans le tonnerre à la fermeture sont ici gainées de laiton. Ce métal plus tendre et plus ductile que l’acier permet un rodage parfait qui assure l’étanchéité aux gaz de combustion. En outre, le modèle est équipé d’une baguette de bois avec embout en cuivre et porte- lavoir. Celle-ci n’est pas destinée au chargement de l’arme, puisque la cartouche est introduite dans la culasse, mais au nettoyage de l’âme du canon après le tir. Cette précaution s’avère en effet nécessaire après chaque tir avec l’utilisation de cartouches combustibles. Des lambeaux d’étui imparfaitement brûlés peuvent encombrer le canon et produire un gonflement ou même un éclatement lors d’un nouveau tir. Autre risque : celui d’une parcelle de papier encore en ignition en contact avec l’étui de la nouvelle cartouche ; après un certain laps de temps, la combustion s’accélère et c’est le départ intempestif du coup de feu avec tous les alé as qui peuvent en découler. A noter que ce fusil ne comporte aucun système de sécurité.
Un calibre 18, un vrai de vrai !
Un très beau modèle de ce fusil, en « calibre 18 vrai », est exposé dans les vitrines du musée d’Art et d’Industrie de Saint- Etienne. Par « 18 vrai », il faut entendre que ce fusil est foré entre 16,56 et 16,87 mm. Le calibre 16 de l’époque étant de 17 à 17,4, alors que le 20 était de 15,9 à 16,4. Bien que contresigné d’un autre arquebusier, il s’agit d’un modèle authentique. Dans cette version finale de 1839, le Montigny est à son apogée. Le système de fermeture à grand levier reste le même, mais l’embiellage au mécanisme est modifié : la transmission qui était à deux branches s’opère ici par une pièce monobloc ajourée. L’armement des aiguilles et des chiens internes est automatique à l’ouverture. Donc le levier à volute à l’avant du pontet est supprimé. Les tampons en laiton des têtes de culasse ont été modifiés ; ils sont remplacés par deux gainages cylindriques qui enveloppent les têtes. Ces gainages se prolongent sur le dessous en forme de cuillères dont la partie creuse est hérissée de pointes les transformant en râpes. Le brevet en a été déposé le 6 octobre 1847. A l’origine, ces cuillères sont en cuivre, elles seront ensuite en acier. Pour le chargement, il suffit de poser les cartouches sur les cuillères et de rabattre le levier d’armement en position fermeture. Dans ce mouvement, les cartouches sont automatiquement introduites dans le tonnerre. Après le tir, à l’ouverture, les cuillères reculent, entraînées par les têtes de culasse. Les râpes extraient donc automatiquement les éventuels restes de cartouches combustibles. Ce nettoyage automatique a rendu obsolète l’emploi de la baguette, qui de fait a été supprimée. Ultime finition : le système de sécurité, inédit et vraiment particulier. A l’ouverture, deux plaquettes métalliques descendent automatiquement en parallèle avec les détentes et les masquent en partie. Quand on veut faire feu, l’index doit repousser ces languettes vers le haut avant de prendre sa position sur la détente souhaitée. Leur aspect dans le pontet donne une curieuse impression de mécanisme défectueux. Il n’en est rien, le fonctionnement est parfait et n’est d’aucune gêne à l’usage. Mais le principe de sûreté s’arrête là ; rien n’empêche la percussion avec un fusil incomplètement verrouillé. Des essais faits à vide nous en ont apporté la preuve évidente. Un beau modèle, bien que sobre, est passé en vente à Drouot le 10 avril 2013. Il portait l’inscription : « F. C. Montigny Breveté à Fontaine l’Evêque » , le deuxième atelier ouvert par les frères Montigny près de Liège. Quant au « F. C. » , il s’agit des ini- tiales du dernier fils de la lignée des Montigny : François- Camille qui décèdera en 1864, ses frères aînés s’appelant Joseph et Pierre-Camille. Ce fusil portait le matricule 200, c’est dire le peu d’exemplaires qui furent fabriqués. De fait, les Montigny sont indubitablement aujourd’hui des pièces de collection ! Donc en catégorie D2. Quel que soit le modèle, ce sont des pièces d’une relative rareté. Elles sont de surcroît bien souvent mal identifiées du fait qu’elles peuvent se trouver sans signature ou avec celle de n’importe quel arquebusier de l’époque. Or, ce n’était pas le fusil de monsieur Tout-le-monde. Celui qui choisissait une arme aussi sophistiquée était un connaisseur et avait forcément quelques moyens. Il commandait cette arme à son ar - quebusier habituel auprès duquel il savait pouvoir bénéficier d’un entretien en fin de saison de chasse. Dans ce cas, il était d’usage courant que cet arquebusier grave (ou fasse graver) son nom sur l’arme à titre publicitaire. Ce sur-marquage n’enlève rien à la valeur de la pièce et c’est avec bonheur que l’un ou l’autre modèle viendra sur le râtelier de la collection auprès de l’un de ses cousins Pauly ou Robert.