Une grande signature d’occasion (2)
Ce qu’il faut savoir selon les marques et modèles : les fusils continentaux
Le trimestre dernier, nous passions en revue les armes des grandes signatures britanniques qu’il est encore possible de trouver sur le marché de l’occasion. Enjambons la Manche pour poursuivre sur le continent ce tour d’horizon critique des modèles aux noms illustres.
Première étape de cette pro menade parmi les grands noms de l’armurerie continentale : la Belgique et sa capitale armurière, Liège. Comme bien des grands centres de fabrication, la ville a produit une très large palette de qualités. Cela allait des fusils de traite, fabriqués jusqu’au milieu du XXe siècle, aux réalisations de grand luxe, sans oublier des armes réalisées de manière industrielle.
La FN
Le génie de Browning, associé à une grande compétence dans l’usinage puis une finition manuelle quasi arti- sanale, permit à la Fabrique nationale, surtout à partir de 1902, année du lancement de l’Auto 5, de dominer le monde de l’arme industrielle. La naissance du B25 donna la possibilité aux chasseurs d’acquérir un superposé au coût raisonnable et dont la conception et la qualité de fabrication restent pour moi la référence. La broche traversante appuyant sur toute la largeur d’une bascule rigide, un large verrou parfaitement positionné et une portée de recul efficace et bien ajustée, tout cela explique les dizaines de milliers de cartouches avalées par les modèles de tir ou de chasse. Les canons sont dignes de la grande facture d’une maison artisanale : tubes demi-blocs parfaitement dressés, bandes soudées à l’étain, parfaite qualité de finition des alésages. L’utilisation aisée des mécanismes de calibre 20 pour des express en 9,3 x 74 R ou de la bascule de 12 pour des .375 H& H confirme leur qualité. L’éjection dotée de chiens assez lourds propulsés par des ressorts à boudin projette toujours la douille quelle que soit la température de l’arme. La seule petite faiblesse du B25 se situe au niveau des coulisseaux, dont la liaison avec le tire-cartouches a tendance à se fissurer et à se rompre. Le principe d’utilisation de l’inertie sur la monodétente sélective, garantissant sûreté de fonctionnement et simplicité de fabrication, a été copiée ou adaptée par pratiquement tous les fabricants.
Francotte
Pour mesurer l’étendue de cette fabrication, il faut feuilleter un catalogue datant de l’après-Première Guerre mondiale. Les juxtaposés, de système Anson, sont parfois dotés de gâchettes de sécurité ; il existe aussi des batteries démontables. Leur qualité correspond aux normes d’excellence de Liège. Les platines sont pratiquement toujours un clone du Holland. Mais c’est dans le domaine des superposés que se déploie la plus grande diversité. Les modèles les moins chers utilisent la classique bascule liégeoise à crochets inférieurs. Le verrou supérieur Kersten est rarement complété par un système Purdey. Deux armeurs latéraux attaquent des chiens portés par la sous-garde ou de classiques platines à ressort arrière. Un fusil plus bas s’apparente beaucoup au basculage d’un Perazzi. Le canon pivote sur des tourillons, les portées de recul latérales sont présentes et un verrou accroche deux projections en bas du canon. L’éjection, équipée de ressorts à boudin dans le canon, fonctionne de manière identique aux superposés actuels. Pour les amateurs d’armes originales, il existe le modèle Royal. Les tourillons sont usinés sur le canon, une mortaise courbe permettant sa mise en place. L’armement des platines arrière est assuré par deux tiroirs commandant aussi l’éjection. Deux marteaux, libérés par un verrou pivotant, viennent frapper le tire-cartouches.
S’il est nécessaire de reculer le canon pour un réajustage, j’avoue ne pas proposer une solution simple. Assurez-vous qu’un travail sur le verrou permettra de reprendre l’usure. Il existe aussi un superposé dont la broche, réduite à sa moitié dans sa partie centrale, pivote dans la bascule. Les armes rayées, autre spécialité Francotte, ont été fabriquées dans de nombreux calibres et systèmes. La qualité Francotte fut excellente durant les trois quarts du XXe siècle. Ensuite, les rachats successifs par des repreneurs étrangers au monde armurier et la perte d’une main-d’oeuvre qualifiée entraînèrent un déclin allant croissant jusqu’à la fermeture.
Lebeau-Courally
Si la mécanique a toujours été méticuleusement réalisée, c’est surtout par les relimes et la finition que ce fabricant se distingue. La bascule ronde de ses fusils, plus élégante que celle du Boss, est souvent qualifiée de « relime Lebeau » . Les Anson, généralement rencontrés en express, utilisent la classique « standard FN ». Les platines reprennent le système Holland, l’éjection étant réarmée par un coulisseau. Sur de vieilles fabrications, la percussion est parfois assurée par une platine insolite. A ma connaissance, c’est la seule dont le chien possède une rainure courbe pour le passage d’un des piliers de la bride. La devise adoptée par les anciennes pu blicités Lebeau est fort proche de celle de Boss, mais n’est certes pas usurpée : « Fabrication exclusive d’armes de la plus haute qualité. » Ce n’est pas le seul rapprochement avec le grand nom britannique, Lebeau ayant fabriqué sous licence le complexe superposé de ce dernier. La diversité des autres superposés est comparable à celle de Francotte. Les express sont fortement représentés, avec des calibres plus orientés vers la chasse européenne qu’exotique.
D’autres liégeois
Il existe de nombreuses autres signatures liégeoises, avec une qualité très variable. Si la production Defourny fut parfois un peu « usine à gaz » , celles de Cordy, Duchâteau, Forgeron fu rent sérieusement réalisées. L’extrême parcellisation de l’armurerie liégeoise – employant quelque 5000 personnes vers 1910, et encore 1600 à 1700 en 1950 – lui permit de fabriquer pour les armuriers de nombreux pays, lesquels revendaient ces armes sous leur propre nom. Cela va de Nowotny à Prague à GastinneRenette à Paris. Reprenant des solutions éprouvées, même s’ils n’ont pas
la finition des grands noms, ce sont des fusils qui fonctionnent généralement bien et durablement.
Les espagnols
Peu estimée dans le passé, la production du Pays basque se caractérise aujourd’hui par une grande variabilité de finition. Chez le même fabricant, un mécanisme est décliné en différents niveaux de prix, suivant la gravure ou les détails des platines. Les aciers utilisés, autrefois qualifiés de « juste bons à ferrer les ânes », sont actuellement aux standards internationaux. L’usure parfois assez rapide de certaines pièces tient plus à l’absence ou à la qualité de la trempe, mais cela a l’avantage d’éviter la rupture. Paradoxalement, si les canons des Espagnols étaient considérés comme les meilleurs aux XVe et XVIe siècles, la canonnerie de leurs armes lisses artisanales présente parfois des défauts de dressage et d’alésage sur le haut de gamme, la présentation actuelle est souvent de style britannique. Cela peut expliquer leur diffusion, le rapport qualité-prix étant l’un des meilleurs.
Les français
Sur le plan de l’élégance et du mécanisme, la version stéphanoise à petite clé du fusil Anson me semble la meilleure. L’expérience ayant permis de bien dimensionner toutes les parties, cela donna une relime très fine en conservant la fiabilité. L’intérêt du troisième verrou des modèles à grosse clé ne me semble pas évident, le basculage classique, style Purdey, étant largement suffisant. Si vous avez la chance de pouvoir acquérir une arme dotée d’un troisième verrou Aiglon, signée Coeur- Tyrode, Guichard ou Granger, n’hésitez pas! Sa position et la surface de contact de son agencement dotent ces fusils splendides du meilleur de tous les systèmes en rivalité. La tradition stéphanoise en matière de canonnerie utilise la soudure au four avec brasure de laiton. Les crochets étant généralement rapportés, cela permettait de souder l’ensemble du canon en une seule opération. Parfaitement maîtrisée par des firmes comme Jean Breuil ou Heurtier, l’avantage de cette technique tient dans l’absence de problème sur les bandes ou le crochet de tirette. Spécialités de Saint- Etienne, les armes à culasse coulissante sont actuellement moins recherchées. La valeur de pente des crosses ayant évolué, leur disposition empêche de remonter le busc. Concernant la soli- dité du système, je ne connais pas d’exemple de rupture de la fermeture. Un de ses avantages est la facilité du réajustage. Un clinquant (ou cale) intercalé sous la portée amovible du verrou permet de rapprocher la culasse du canon. Les percuteurs linéaires, propulsés par de robustes ressorts cylindriques, ne créent jamais de problème. Seule l’extraction sélective est susceptible d’usure, la griffe qui accroche le bourrelet étant petite et de tolérance assez serrée. Sur les modèles à crosse en deux parties, la liaison de l’arrière est à vérifier. Si les superposés à platines ont été très peu développés par les armuriers stéphanois, leur imagination enfanta de nombreux modèles généralement équipés d’une percussion linéaire. Leur mécanisme est souvent d’une grande complexité – à l’image par exemple du Super Jay qui s’arme en tirant des tiges montées latéralement dans la bascule. Développés après la Première Guerre mondiale, les canons s’articulent sur des tourillons où une pièce en U pivote dans la bascule. La tuile de verrouillage du Damon Petrick fut une réelle innovation, les autres fabricants en déclinèrent ensuite toutes les possibilités. Notre actuel Sagittaire est un digne héritier de cette époque, sa percussion et son éjection étant à comparer avec la simpli- cité des armes d’entrée de gamme de l’industrie italienne. Malgré un marché intérieur important, la fabrication d’armes à platines fut toujours marginale en France, la grande majorité des fusils de ce type vendus dans le pays était d’origine belge. Les réelles réalisations stéphanoises, très exceptionnellement vendues en direct, reprennent l’efficace mécanique Holland. N’en déplaise à un certain snobisme, un Maisonnial ou un Blondeau n’ont rien à envier à la production de Birmin - gham. La signature de Coeur-Tyrode et de ses successeurs est la plus estimée. Aujourd’hui, la maison Granger ne déroge pas à cette réputation, accroissant encore une qualité qui était déjà la meilleure.
Les italiens
Après la Seconde Guerre mondiale, la réputation des armes italiennes valait celle de la péninsule Ibérique. Les fabrications artisanales des Cortesi, Stanzani et Zanotti étaient chez nous inconnues ; de conception souvent originale, il y a peu de chance qu’elles soient proposées à la vente en France. La reconnaissance viendra par le biais de la gravure. Galeazzi et Fracassi ont porté au plus haut niveau cet art – contrastant avec la médiocre fabrication qui leur servait alors de support. Néanmoins,
l’intérêt, surtout américain, pour ces ornementations, permit à d’habiles armuriers de s’équiper en machines modernes et de proposer finalement des armes de qualité. Un Fabbri ou un Fratelli Rizzini, dans un style de finition caractéristique de Gardone, est fabriqué dans les meilleurs aciers. De même, un Piotti ou un Desenzani sont des valeurs sûres, mais certaines fabrications des années 1970 ou 1980 souffrent d’une réalisation interne qui n’est pas en accord avec la décoration. Franchi réalisa quelques clones du Boss superposé et l’Imperiale Monte-Carlo est un excellent juxtaposé à platines. Les juxtaposés Beretta n’ont rien d’exceptionnel, mais la gamme des superposés SO a démontré ses grandes qualités dans les compétitions.
Les germaniques
A part dans l’est de notre pays, il faut attendre l’après- Seconde Guerre mondiale pour que la fabrication alle- mande ou autrichienne pénètre en France. Souvent constituées de prises de guerre, les fabrications d’avant 1945 se rencontrent sur le marché de l’occasion. Ces vieux drillings et mixtes, ordinairement bien fabriqués, sont parfois établis dans des calibres désuets qui ne sont plus produits. Le superposé Merkel se trouve couramment dans ses différentes versions. Quel que soit le système de percussion, il est d’une grande endurance. Le verrouillage, double Greener, épaulé sur le haut de gamme par un verrou Purdey, avale sans problème des milliers de munitions. Ma seule réserve concerne les tire-cartouches qui, lorsqu’ils prennent du jeu, peuvent passer sur le bourrelet. Un contrôle est préconisé. Avec le développement de la chasse au grand gibier, les Français ont découvert l’existence de la petite ville autrichienne de Ferlach. L’industriel Franz Sodia y fabrique sérieusement une gamme étendue. On rencontre très peu de problèmes sur les nombreuses armes artisanales, leur prix variant surtout par la gravure. Comme chez Merkel, la batterie est montée sous la sous-garde. Pour les platines, le ressort arrière domine largement. L’original système de basculage de Schiering, dont le principe a inspiré Blaser, est d’une parfaite fiabilité. La production de Hartmann & Weiss peut sans difficulté supporter la comparaison avec la grande fabrication anglaise. Elle reprend généralement ce que l’expérience a défini comme le meilleur système pour un type d’arme donné.