Armes de Chasse

Stazzona di Rustinu

Les couteaux corses de Jean-Jacques Bernet

- François d’Allons, photos Jean-Jacques Bernet, Renaud Millet et François-Xavier Salle

Ce nom-là n’est pas corse… Est-ce si certain ? La famille Bernet est installée sur l’île depuis tellement de temps, elle y a enfoncé ses racines si profondéme­nt que Jean-Jacques Bernet n’imagine pas un seul instant être d’ailleurs. Corses, les couteaux qu’il fabrique le sont aussi, forcément.

Jean-Jacques Bernet a la cinquantai­ne et, aussi loin que puisse remonter sa mémoire, a toujours aimé les couteaux, particuliè­rement ceux issus de la tradition agro-pastorale de son île. Longtemps, il ne songea pas en fabriquer lui-même. Jusqu’à un jour du début de ce millénaire où ses sens furent attirés par un bruit et une odeur très particulie­rs : dans un atelier proche de sa maison, un voisin entreprena­it de découper de la corne de chèvre à la disqueuse ! Avez-vous déjà respiré un air chargé d’effluves de corne grillée ? C’est une senteur acre, empreinte d’une extrême rusticité, comme celle des poils d’une vieille moustache quand on en approche un briquet d’un peu trop près. Ces exhalaison­s allaient devenir pour Jean- Jacques une véritable addiction : celles de la corne de chèvre brûlée, dont on fait les manches des couteaux corses. Voilà pour le manche. Mais un couteau est aussi une lame. C’est sur le forum forge.fr que Jean-Jacques trouva les informatio­ns indispensa­bles pour matérialis­er sa nouvelle passion. Muni de ce précieux viatique, il se lança, en autodidact­e. Les premiers résultats obtenus, il alla à la rencontre d’autres couteliers insulaires, notamment Jean-Do Susini qui le fit se rapprocher du Syndicat des couteliers corses. Car JeanJacque­s Bernet s’inscrit dans une démarche identitair­e : réaliser les couteaux traditionn­els de « son » île. Ainsi donc, la quarantain­e venue, après avoir été mécanicien auto et transporte­ur routier, une nouvelle vie commençait pour notre insulaire : il devint coutelier. Une activité qu’il exerça d’abord en amateur, pendant huit ans, avant d’en faire sa profession, en 2009.

Un curnicciul­u de l’espèce Rustinu

Le fermant traditionn­el corse, celui qu’utilisent les bergers et les agriculteu­rs, répond à l’appellatio­n générique de curnicciul­u. Son manche est en corne de chèvre, de bouc ou de bélier. La forme de sa lame le différenci­e de tous ses équivalent­s des bords de la Méditerran­ée, avec une échancrure sur l’avant servant de racloir – sans doute pour écorcer l’osier – ou de tarabiscot – pour dessiner des frises parallèles sur le bord des assiettes et autres objets en bois, comme les colliers de bélier, que les

bergers réalisent durant l’estive. JeanJacque­s s’est inspiré de ce couteau traditionn­el pour créer son propre modèle, auquel il a donné le nom de U Rustinu ( le rustique, au sens d’éloigné de la ville). Celui de son atelier en a découlé, A Stazzona di Rustinu, la Forge du Rustinu. U Rustinu est un couteau à la fois sobre et racé, dont on identifie l’origine au premier coup d’oeil : c’est véritablem­ent un couteau corse. Mais point besoin de l’être soi-même pour l’aimer : il suffit de ne pas oublier et d’apprécier d’où l’on vient, c’est-àdire, pour l’immense majorité d’entre nous, de la ruralité. Jean-Jacques forge toutes ses lames, généraleme­nt dans du C70 ou du XC75. Pour les rares couteaux à lame fixe qu’il réalise, il recourt au 100C6. Il forge son propre feuilleté (à base d’aciers au nickel, pour le contraste – 15N20 et K720) et produit quelques lames en composite à trois couches, avec des flancs en vieux fer. Quelques couteaux de chasse à lame fixe sortent également chaque année de son atelier. Pour les manches de ses fermants traditionn­els, vous l’aurez compris, Jean-Jacques emploie exclusivem­ent de la corne de chèvre qu’il chauffe et met en forme sous la presse. Pour ses couteaux de chasse, il peut se tourner vers le bois, des es sences locales avant tout – olivier, arbousier, genévrier, ou encore bois de fer, palissandr­e.

Insulaire, donc

autonome !

Le coutelier s’est constitué un bel atelier, dont il a fabriqué lui-même certaines des composante­s : forge à gaz, four de trempe, tourets à bande. Il possède aussi un martinet Compagnon, un marteau-pilon de 40 kg de masse tombante et, chose plus rare, un laminoir. Ainsi est-il complèteme­nt autonome. Jean-Jacques produit environ trois cents couteaux par an, qu’il vend pour la plupart directemen­t sur les foires corses et les salons auxquels il participe : la Journée du couteau corse de Cuttoli-Corticchia­to, en août, commune dont un autre coutelier, Jean Biancucci, est le maire, ou encore Pierrelatt­e et Nyons. Il fournit aussi quelques points de vente choisis : trois sur l’île et trois sur le continent. Comme nous, vous serez sans doute conquis par ces couteaux, ceux d’un homme authentiqu­e et heureux, heureux de fabriquer des outils traditionn­els corses et de pouvoir en vivre.

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Le manche emblématiq­ue en corne de chèvre, ici au perçage.
 ??  ?? Couteau de chasse à lame en damas torsadé, manche en tibia de cerf, garde
et pommeau en damas 320 couches. Lame de 15 cm (longueur totale
de 26 cm).
Couteau de chasse à lame en damas torsadé, manche en tibia de cerf, garde et pommeau en damas 320 couches. Lame de 15 cm (longueur totale de 26 cm).
 ??  ?? Ce stylet corse (à tranchant double) ferait une excellente dague de petite vénerie.
Ce stylet corse (à tranchant double) ferait une excellente dague de petite vénerie.
 ??  ?? Mise en forme au marteau d’une lame de fermant.
Mise en forme au marteau d’une lame de fermant.
 ??  ?? Les fermants traditionn­els corses de Jean-Jacques Bernet, avec leurs manches en corne chauffée et pressée.
Les fermants traditionn­els corses de Jean-Jacques Bernet, avec leurs manches en corne chauffée et pressée.
 ??  ?? Deux curnicciul­u à manche en corne de mouflon et, en haut, lame composite cinq couches (vieux fer, 90MCV8 et 15N20) et, en bas, damas (XC75/15N20).
Deux curnicciul­u à manche en corne de mouflon et, en haut, lame composite cinq couches (vieux fer, 90MCV8 et 15N20) et, en bas, damas (XC75/15N20).

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