Stazzona di Rustinu
Les couteaux corses de Jean-Jacques Bernet
Ce nom-là n’est pas corse… Est-ce si certain ? La famille Bernet est installée sur l’île depuis tellement de temps, elle y a enfoncé ses racines si profondément que Jean-Jacques Bernet n’imagine pas un seul instant être d’ailleurs. Corses, les couteaux qu’il fabrique le sont aussi, forcément.
Jean-Jacques Bernet a la cinquantaine et, aussi loin que puisse remonter sa mémoire, a toujours aimé les couteaux, particulièrement ceux issus de la tradition agro-pastorale de son île. Longtemps, il ne songea pas en fabriquer lui-même. Jusqu’à un jour du début de ce millénaire où ses sens furent attirés par un bruit et une odeur très particuliers : dans un atelier proche de sa maison, un voisin entreprenait de découper de la corne de chèvre à la disqueuse ! Avez-vous déjà respiré un air chargé d’effluves de corne grillée ? C’est une senteur acre, empreinte d’une extrême rusticité, comme celle des poils d’une vieille moustache quand on en approche un briquet d’un peu trop près. Ces exhalaisons allaient devenir pour Jean- Jacques une véritable addiction : celles de la corne de chèvre brûlée, dont on fait les manches des couteaux corses. Voilà pour le manche. Mais un couteau est aussi une lame. C’est sur le forum forge.fr que Jean-Jacques trouva les informations indispensables pour matérialiser sa nouvelle passion. Muni de ce précieux viatique, il se lança, en autodidacte. Les premiers résultats obtenus, il alla à la rencontre d’autres couteliers insulaires, notamment Jean-Do Susini qui le fit se rapprocher du Syndicat des couteliers corses. Car JeanJacques Bernet s’inscrit dans une démarche identitaire : réaliser les couteaux traditionnels de « son » île. Ainsi donc, la quarantaine venue, après avoir été mécanicien auto et transporteur routier, une nouvelle vie commençait pour notre insulaire : il devint coutelier. Une activité qu’il exerça d’abord en amateur, pendant huit ans, avant d’en faire sa profession, en 2009.
Un curnicciulu de l’espèce Rustinu
Le fermant traditionnel corse, celui qu’utilisent les bergers et les agriculteurs, répond à l’appellation générique de curnicciulu. Son manche est en corne de chèvre, de bouc ou de bélier. La forme de sa lame le différencie de tous ses équivalents des bords de la Méditerranée, avec une échancrure sur l’avant servant de racloir – sans doute pour écorcer l’osier – ou de tarabiscot – pour dessiner des frises parallèles sur le bord des assiettes et autres objets en bois, comme les colliers de bélier, que les
bergers réalisent durant l’estive. JeanJacques s’est inspiré de ce couteau traditionnel pour créer son propre modèle, auquel il a donné le nom de U Rustinu ( le rustique, au sens d’éloigné de la ville). Celui de son atelier en a découlé, A Stazzona di Rustinu, la Forge du Rustinu. U Rustinu est un couteau à la fois sobre et racé, dont on identifie l’origine au premier coup d’oeil : c’est véritablement un couteau corse. Mais point besoin de l’être soi-même pour l’aimer : il suffit de ne pas oublier et d’apprécier d’où l’on vient, c’est-àdire, pour l’immense majorité d’entre nous, de la ruralité. Jean-Jacques forge toutes ses lames, généralement dans du C70 ou du XC75. Pour les rares couteaux à lame fixe qu’il réalise, il recourt au 100C6. Il forge son propre feuilleté (à base d’aciers au nickel, pour le contraste – 15N20 et K720) et produit quelques lames en composite à trois couches, avec des flancs en vieux fer. Quelques couteaux de chasse à lame fixe sortent également chaque année de son atelier. Pour les manches de ses fermants traditionnels, vous l’aurez compris, Jean-Jacques emploie exclusivement de la corne de chèvre qu’il chauffe et met en forme sous la presse. Pour ses couteaux de chasse, il peut se tourner vers le bois, des es sences locales avant tout – olivier, arbousier, genévrier, ou encore bois de fer, palissandre.
Insulaire, donc
autonome !
Le coutelier s’est constitué un bel atelier, dont il a fabriqué lui-même certaines des composantes : forge à gaz, four de trempe, tourets à bande. Il possède aussi un martinet Compagnon, un marteau-pilon de 40 kg de masse tombante et, chose plus rare, un laminoir. Ainsi est-il complètement autonome. Jean-Jacques produit environ trois cents couteaux par an, qu’il vend pour la plupart directement sur les foires corses et les salons auxquels il participe : la Journée du couteau corse de Cuttoli-Corticchiato, en août, commune dont un autre coutelier, Jean Biancucci, est le maire, ou encore Pierrelatte et Nyons. Il fournit aussi quelques points de vente choisis : trois sur l’île et trois sur le continent. Comme nous, vous serez sans doute conquis par ces couteaux, ceux d’un homme authentique et heureux, heureux de fabriquer des outils traditionnels corses et de pouvoir en vivre.