Armes de Chasse

Le noyer à la loupe

Ce qu’il faut regarder sur la crosse d’une arme d’occasion

- Denis Lemoine, crossier, monteur à bois

Il y a deux numéros de cela, nous vous proposions un dossier complet sur l’examen, nécessaire et indispensa­ble avant l’achat, d’une arme de chasse. Un seul aspect n’avait pas été abordé en profondeur : sa crosse. Voici comment juger de l’état des bois d’une arme et évaluer les réparation­s requises.

Ah, les bois d’une arme de chasse ! Combien d’entre nous se sont laissé séduire par une arme uniquement pour eux ! Une crosse et une longuesse au noyer si beau, si veiné, si bien tein té et poncé qu’ils ont réussi à nous faire négliger le reste, à savoir la mécanique et les canons. Et peutêtre n’est- ce pas tout ce que nous né gligeons en nous laissant ainsi conquérir. Parfois, le ver est dans le fruit lui- même : la crosse la plus belle et la plus veinée peut s’avérer trompeuse et source de futures dépenses importante­s pour être conservée et utilisée. Nous avons donc voulu lister pour vous les différents points sur lesquels vous devez être attentif avant de vous décider pour l’achat d’une arme à monture traditionn­elle. Précisons toutefois que les bois, quels que soient leurs défauts, représente­nt rarement un obstacle à l’achat. La crosse et le devant d’une arme qui a tiré, vécu et souffert sont à quelques rares exceptions près toujours réparables ou modifiable­s. Avant d’envisager le remplaceme­nt de cette ou ces pièces, il faut tout faire pour sauvegarde­r un beau bois et ce faisant préserver l’originalit­é de l’arme.

Traquer la fêlure cachée

Un examen minutieux de quelques minutes s’impose, particuliè­rement approfondi au niveau de la poignée, partie la plus fragile d’une arme. L’idéal reste le démontage total, mais il n’est pas toujours possible. Exercez des pressions cardinales par rapport à l’axe du canon sur la crosse ainsi que des torsions en vous aidant de la partie arrière de celle-ci afin de mieux apercevoir d’éventuelle­s fentes non réparées. Attention toutefois à ne pas trop forcer, votre but est de déceler des fêlures, pas d’en créer de nouvelles ! Soyez vigilant au niveau de la vis de traverse de part et d’autre du pontet, des contours des platines, de l’arrière de la queue de bascule. S’il s’agit d’une arme à platines et si vous avez la possibilit­é de le faire, démontez les mécanismes de percussion pour mettre à jour d’éventuelle­s fractures au niveau des percuteurs et de la partie inférieure de la crosse. Une crosse qui « boîte » – qui a du jeu latéral – est peut-être simplement mal serrée. Vérifiez le cran de la vis de potence, qui doit être dans l’axe du fusil si celui-ci est relativeme­nt récent, sinon contrôlez son serrage. Même chose avec la vis de traverse. Au préalable, si l’extrémité de cette dernière est apparente sur la queue

de bascule et n’est pas cachée par le poussoir de sécurité, vérifiez, en faisant un petit repère avec un marqueur, qu’elle va tourner légèrement quand vous la resserrere­z. Dans le cas contraire, elle peut être fracturée. Les têtes de crosse noircies jusqu’au busc (la partie arrière de la poignée) sont les conséquenc­es d’un fusil huilé plus que de raison et rangé ensuite crosse en bas – une habitude que nous avons tous, alors que l’inverse devrait être la règle pour une meilleure conservati­on des bois. Résultat, le bois absorbe l’huile au fil des années, et finit par devenir tendre et spongieux. Il doit alors être déshuilé pour retrouver sa dureté. A défaut d’un stockage tête en bas, privilégie­z la graisse, moins invasive que l’huile, pour l’entretien du mécanisme. L’examen d’un système Anson est plus aisé, les fractures étant moins fréquentes du fait de secti ons de bois plus importante­s que celles que l’on trouve sur les fusils à platines. Dans tous les cas, les fentes occasionné­es au tir sont toujours dues à des vis desserrées et/ou à des défauts d’entretien. Si la crosse de l’arme que vous examinez est vernie au tampon coloré, redoublez de vigilance, le produit est assez transparen­t pour ne pas totalement masquer les dessins du bois mais assez opaque pour dissimuler les réparation­s. Un quadrillag­e repris est quant à lui facilement détectable. En observant attentivem­ent la crosse et le devant, vous constatere­z que leur niveau se trouve plus bas que celui du bois qui les entoure. De plus, la reprise est souvent repérable à une exécution ou une régularité différente­s du reste de l’arme.

On grandit, nos crosses aussi

Nous sommes en moyenne plus grands que nos parents et que nos grands-parents. Les crosses des armes d’occasion, pour peu qu’elles soient anciennes, sont donc souvent devenues trop petites pour nous. Si l’on considère qu’une longueur de crosse moyenne est de 375 mm, votre future crosse ne doit pas mesurer moins de 350 ou 345 mm dans le cas d’une arme à monodétent­e. C’est la dimension minimale pour pouvoir installer un amortisseu­r en caoutchouc, qui peut être gainé de cuir. Au-delà d’un ajout de 25 mm, un déséquilib­re visuel apparaît même si on peut pousser parfois jusqu’à 30 mm.

Une crosse trop petite peut recevoir une allonge d’ébène qui, si elle n’excède pas 35 mm, va joliment trancher avec les couleurs du noyer et rester harmonieus­e. Pour une allonge plus grande, on privilégie­ra le noyer. Quelle que soit la longueur, l’opération implique la relime du corps de crosse, le ponçage jusqu’au quadrillag­e et les finitions, soit entre 1 et 12 heures de travail selon le niveau des interventi­ons. Les pente et avantage pourront être modifiés si on a affaire à une crosse n’ayant jamais subi de grosse réparation, car l’huile chaude utilisée pour la torsion du bois ne manquerait pas de faire réapparaît­re la cassure d’origine. Trois heures par mouvement ( pente ou avantage) sont nécessaire­s pour un fusil. Cette estimation comprend le démontage et le nettoyage qui s’imposent ensuite, les vapeurs d’eau dégagées lors de l’opération devant être éliminées pour protéger le mécanisme de l’oxydation. Des limites élastiques dans les fibres du bois restreigne­nt l’importance des mouvements de pente et d’avantage que l’on peut demander à une crosse. Disons que l’on peut obtenir, à la condition que le fil soit droit au niveau de la poignée, un déplacemen­t de la pente de 10 à 15 mm (en positif ou en négatif). Pour les crosses à tirant ( vis logée dans la crosse, depuis la plaque de couche qui lie la bascule au bois), cette vari abilité est ramenée entre 8 et 10 mm. On peut aussi convertir une arme de droitier en une arme de gaucher et inversemen­t en jouant sur l’avantage jusqu’à 20 mm ( 12 à 15 mm pour les crosses à tirant). Pour de plus grandes variations, il sera nécessaire de remplacer les vis de pontet, après avoir réajusté ce dernier conforméme­nt au mouvement donné à la crosse, et de refaire leur gravure.

Un coup d’oeil vers l’avant

Les défauts majeurs que l’on constate sur des devants concernent le plus souvent le fer, le bois et le fer à l’origine bien ajustés pouvant se désolidari­ser au fil du temps. Les devants fer de type une pièce à pompe, maintenus par une vis à bois et par la vis de capucine traversant le tube, sont soumis à l’arrachemen­t au moment du recul, plus encore quand il s’agit d’un devant enveloppan­t. Un espace entre fer et bois au niveau de l’arrondi apparaît alors.

Souvent dû à un défaut de serrage, le filetage du bois est arraché. Un insert peut y être collé et sa vis remplacée et dûment gravée. Les devants fer deux pièces à tube indépendan­t sont souvent fixés avec une vis qui traverse le bois et se loge dans un losange ( Holland & Hol- land), renforcé par des vis à bois chez certains fabricants (Purdey) ou une vis acier chez d’autres (Boss). Ces dispositif­s sont très résistants et assurent une parfaite solidité à l’ensemble. Les éclats de bois en bout de devant au niveau de la capucine, partie par- ticulièrem­ent fragile, pourront être réparés avec une enture souvent ajustée en queue d’aronde et, si le travail est bien fait, très discrète. Les devants à auget et à clef, que l’on trouve généraleme­nt sur les calibres à fort recul, apportent au devant bois une grande solidité et se trouvent rarement endommagés. Les crosses à tirant arrière, par compressio­n sur la bascule, sont de loin les plus robustes. Une fracture de « joue » (la partie latérale derrière la bascule), dans le sens latéral, peut arriver, due à de mauvaises portées et à un fil de bois offrant un angle trop important par rapport à son axe. La fracture dans le sens de la hauteur est beaucoup moins courante. Ce type de réparation nécessite entre 1 et 5 heures de travail.

Le carbone au secours du bois

Il est également possible de redonner une parfaite solidité à un devant de superposé fendu sur sa longueur – avec une difficulté accrue en cas de sections de bois fines comme sur les Damon Petrick – au moyen d’une petite épaisseur, de l’ordre d’un demi- millimètre, de toile de fibre de carbone. Les fentes latérales souvent rencontrée­s sur les Brow ning B25 ( l’an gle du fer de devant créant parfois une amorce de ruptu re) au niveau externe des marteaux d’éjection peuvent également être reprises par ce procédé. J’ai également souvent recouru à cette solution pour donner une seconde vie à une crosse totalement cassée, à première vue irréparabl­e. La toile et la colle époxy sont interposée­s au niveau de la première vis de pontet, après un collage bout à bout et la réalisatio­n d’une mortaise et de son tenon. Mais dès lors la crosse ne peut plus être tordue et tout changement de pente ou d’avantage devient interdit. Vous le voyez, les réparation­s des bois de nos armes de chasse ont finalement peu de limites, presque tout est possible. Souvent, la seule limite réside dans le coût de l’opération. Et si celui-ci est prohibitif, il reste encore la possibilit­é de changer la crosse ou le devant, une option certes coûteuse mais moindre que bien des réparation­s. C’est une solution durable s’il en est, qui donnera à votre arme une nouvelle jeunesse pour chasser encore des décennies.

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L’examen de la crosse du fusil que vous envisagez d’acquérir doit se faire au calme et avec une bonne lumière naturelle.
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La crosse de ce fusil à platines était fêlée sous la mécanique, chose invisible sans démontage.
 ??  ?? Sur ce Purdey à percussion, avant restaurati­on, on voit nettement la partie cassée et mal recollée de la crosse.
Sur ce Purdey à percussion, avant restaurati­on, on voit nettement la partie cassée et mal recollée de la crosse.
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 ??  ?? Cette crosse arrivée en morceaux a été sauvée et réparée. L’auriez-vous
cru ?
Cette crosse arrivée en morceaux a été sauvée et réparée. L’auriez-vous cru ?
 ??  ?? Le fusil de la page précédente, une fois achevée la restaurati­on de sa crosse. Une toute petite trace demeure encore, mais l’arme est réparée, beaucoup plus élégante et fonctionne­lle.
Le fusil de la page précédente, une fois achevée la restaurati­on de sa crosse. Une toute petite trace demeure encore, mais l’arme est réparée, beaucoup plus élégante et fonctionne­lle.
 ??  ?? A la fraiseuse, le Purdey a été creusé pour ôter les remparts du mécanisme.
A la fraiseuse, le Purdey a été creusé pour ôter les remparts du mécanisme.
 ??  ?? Deux massives pièces de noyer sont placées et collées sur la découpe.
Deux massives pièces de noyer sont placées et collées sur la découpe.
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à la main pour accueillir la platine.
Les plaques de noyer ont été découpées à la main pour accueillir la platine.
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Quand il faut allonger une crosse de façon radicale, la plaque en noyer est inévitable, ici avec un ajout en corne.
 ??  ?? Le même Purdey était également abîmé au niveau de la queue de pontet.
Le même Purdey était également abîmé au niveau de la queue de pontet.
 ??  ?? La zone est découpée comme précédemme­nt et deux morceaux de noyer y sont collés.
La zone est découpée comme précédemme­nt et deux morceaux de noyer y sont collés.
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de la queue de pontet, la réparation est invisible.
Une fois le bois relimé et quadrillé de part et d’autre de la queue de pontet, la réparation est invisible.
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de noyer soit bien choisie, la démarcatio­n
sera invisible.
Pour peu que l’allonge de noyer soit bien choisie, la démarcatio­n sera invisible.

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