Le noyer à la loupe
Ce qu’il faut regarder sur la crosse d’une arme d’occasion
Il y a deux numéros de cela, nous vous proposions un dossier complet sur l’examen, nécessaire et indispensable avant l’achat, d’une arme de chasse. Un seul aspect n’avait pas été abordé en profondeur : sa crosse. Voici comment juger de l’état des bois d’une arme et évaluer les réparations requises.
Ah, les bois d’une arme de chasse ! Combien d’entre nous se sont laissé séduire par une arme uniquement pour eux ! Une crosse et une longuesse au noyer si beau, si veiné, si bien tein té et poncé qu’ils ont réussi à nous faire négliger le reste, à savoir la mécanique et les canons. Et peutêtre n’est- ce pas tout ce que nous né gligeons en nous laissant ainsi conquérir. Parfois, le ver est dans le fruit lui- même : la crosse la plus belle et la plus veinée peut s’avérer trompeuse et source de futures dépenses importantes pour être conservée et utilisée. Nous avons donc voulu lister pour vous les différents points sur lesquels vous devez être attentif avant de vous décider pour l’achat d’une arme à monture traditionnelle. Précisons toutefois que les bois, quels que soient leurs défauts, représentent rarement un obstacle à l’achat. La crosse et le devant d’une arme qui a tiré, vécu et souffert sont à quelques rares exceptions près toujours réparables ou modifiables. Avant d’envisager le remplacement de cette ou ces pièces, il faut tout faire pour sauvegarder un beau bois et ce faisant préserver l’originalité de l’arme.
Traquer la fêlure cachée
Un examen minutieux de quelques minutes s’impose, particulièrement approfondi au niveau de la poignée, partie la plus fragile d’une arme. L’idéal reste le démontage total, mais il n’est pas toujours possible. Exercez des pressions cardinales par rapport à l’axe du canon sur la crosse ainsi que des torsions en vous aidant de la partie arrière de celle-ci afin de mieux apercevoir d’éventuelles fentes non réparées. Attention toutefois à ne pas trop forcer, votre but est de déceler des fêlures, pas d’en créer de nouvelles ! Soyez vigilant au niveau de la vis de traverse de part et d’autre du pontet, des contours des platines, de l’arrière de la queue de bascule. S’il s’agit d’une arme à platines et si vous avez la possibilité de le faire, démontez les mécanismes de percussion pour mettre à jour d’éventuelles fractures au niveau des percuteurs et de la partie inférieure de la crosse. Une crosse qui « boîte » – qui a du jeu latéral – est peut-être simplement mal serrée. Vérifiez le cran de la vis de potence, qui doit être dans l’axe du fusil si celui-ci est relativement récent, sinon contrôlez son serrage. Même chose avec la vis de traverse. Au préalable, si l’extrémité de cette dernière est apparente sur la queue
de bascule et n’est pas cachée par le poussoir de sécurité, vérifiez, en faisant un petit repère avec un marqueur, qu’elle va tourner légèrement quand vous la resserrerez. Dans le cas contraire, elle peut être fracturée. Les têtes de crosse noircies jusqu’au busc (la partie arrière de la poignée) sont les conséquences d’un fusil huilé plus que de raison et rangé ensuite crosse en bas – une habitude que nous avons tous, alors que l’inverse devrait être la règle pour une meilleure conservation des bois. Résultat, le bois absorbe l’huile au fil des années, et finit par devenir tendre et spongieux. Il doit alors être déshuilé pour retrouver sa dureté. A défaut d’un stockage tête en bas, privilégiez la graisse, moins invasive que l’huile, pour l’entretien du mécanisme. L’examen d’un système Anson est plus aisé, les fractures étant moins fréquentes du fait de secti ons de bois plus importantes que celles que l’on trouve sur les fusils à platines. Dans tous les cas, les fentes occasionnées au tir sont toujours dues à des vis desserrées et/ou à des défauts d’entretien. Si la crosse de l’arme que vous examinez est vernie au tampon coloré, redoublez de vigilance, le produit est assez transparent pour ne pas totalement masquer les dessins du bois mais assez opaque pour dissimuler les réparations. Un quadrillage repris est quant à lui facilement détectable. En observant attentivement la crosse et le devant, vous constaterez que leur niveau se trouve plus bas que celui du bois qui les entoure. De plus, la reprise est souvent repérable à une exécution ou une régularité différentes du reste de l’arme.
On grandit, nos crosses aussi
Nous sommes en moyenne plus grands que nos parents et que nos grands-parents. Les crosses des armes d’occasion, pour peu qu’elles soient anciennes, sont donc souvent devenues trop petites pour nous. Si l’on considère qu’une longueur de crosse moyenne est de 375 mm, votre future crosse ne doit pas mesurer moins de 350 ou 345 mm dans le cas d’une arme à monodétente. C’est la dimension minimale pour pouvoir installer un amortisseur en caoutchouc, qui peut être gainé de cuir. Au-delà d’un ajout de 25 mm, un déséquilibre visuel apparaît même si on peut pousser parfois jusqu’à 30 mm.
Une crosse trop petite peut recevoir une allonge d’ébène qui, si elle n’excède pas 35 mm, va joliment trancher avec les couleurs du noyer et rester harmonieuse. Pour une allonge plus grande, on privilégiera le noyer. Quelle que soit la longueur, l’opération implique la relime du corps de crosse, le ponçage jusqu’au quadrillage et les finitions, soit entre 1 et 12 heures de travail selon le niveau des interventions. Les pente et avantage pourront être modifiés si on a affaire à une crosse n’ayant jamais subi de grosse réparation, car l’huile chaude utilisée pour la torsion du bois ne manquerait pas de faire réapparaître la cassure d’origine. Trois heures par mouvement ( pente ou avantage) sont nécessaires pour un fusil. Cette estimation comprend le démontage et le nettoyage qui s’imposent ensuite, les vapeurs d’eau dégagées lors de l’opération devant être éliminées pour protéger le mécanisme de l’oxydation. Des limites élastiques dans les fibres du bois restreignent l’importance des mouvements de pente et d’avantage que l’on peut demander à une crosse. Disons que l’on peut obtenir, à la condition que le fil soit droit au niveau de la poignée, un déplacement de la pente de 10 à 15 mm (en positif ou en négatif). Pour les crosses à tirant ( vis logée dans la crosse, depuis la plaque de couche qui lie la bascule au bois), cette vari abilité est ramenée entre 8 et 10 mm. On peut aussi convertir une arme de droitier en une arme de gaucher et inversement en jouant sur l’avantage jusqu’à 20 mm ( 12 à 15 mm pour les crosses à tirant). Pour de plus grandes variations, il sera nécessaire de remplacer les vis de pontet, après avoir réajusté ce dernier conformément au mouvement donné à la crosse, et de refaire leur gravure.
Un coup d’oeil vers l’avant
Les défauts majeurs que l’on constate sur des devants concernent le plus souvent le fer, le bois et le fer à l’origine bien ajustés pouvant se désolidariser au fil du temps. Les devants fer de type une pièce à pompe, maintenus par une vis à bois et par la vis de capucine traversant le tube, sont soumis à l’arrachement au moment du recul, plus encore quand il s’agit d’un devant enveloppant. Un espace entre fer et bois au niveau de l’arrondi apparaît alors.
Souvent dû à un défaut de serrage, le filetage du bois est arraché. Un insert peut y être collé et sa vis remplacée et dûment gravée. Les devants fer deux pièces à tube indépendant sont souvent fixés avec une vis qui traverse le bois et se loge dans un losange ( Holland & Hol- land), renforcé par des vis à bois chez certains fabricants (Purdey) ou une vis acier chez d’autres (Boss). Ces dispositifs sont très résistants et assurent une parfaite solidité à l’ensemble. Les éclats de bois en bout de devant au niveau de la capucine, partie par- ticulièrement fragile, pourront être réparés avec une enture souvent ajustée en queue d’aronde et, si le travail est bien fait, très discrète. Les devants à auget et à clef, que l’on trouve généralement sur les calibres à fort recul, apportent au devant bois une grande solidité et se trouvent rarement endommagés. Les crosses à tirant arrière, par compression sur la bascule, sont de loin les plus robustes. Une fracture de « joue » (la partie latérale derrière la bascule), dans le sens latéral, peut arriver, due à de mauvaises portées et à un fil de bois offrant un angle trop important par rapport à son axe. La fracture dans le sens de la hauteur est beaucoup moins courante. Ce type de réparation nécessite entre 1 et 5 heures de travail.
Le carbone au secours du bois
Il est également possible de redonner une parfaite solidité à un devant de superposé fendu sur sa longueur – avec une difficulté accrue en cas de sections de bois fines comme sur les Damon Petrick – au moyen d’une petite épaisseur, de l’ordre d’un demi- millimètre, de toile de fibre de carbone. Les fentes latérales souvent rencontrées sur les Brow ning B25 ( l’an gle du fer de devant créant parfois une amorce de ruptu re) au niveau externe des marteaux d’éjection peuvent également être reprises par ce procédé. J’ai également souvent recouru à cette solution pour donner une seconde vie à une crosse totalement cassée, à première vue irréparable. La toile et la colle époxy sont interposées au niveau de la première vis de pontet, après un collage bout à bout et la réalisation d’une mortaise et de son tenon. Mais dès lors la crosse ne peut plus être tordue et tout changement de pente ou d’avantage devient interdit. Vous le voyez, les réparations des bois de nos armes de chasse ont finalement peu de limites, presque tout est possible. Souvent, la seule limite réside dans le coût de l’opération. Et si celui-ci est prohibitif, il reste encore la possibilité de changer la crosse ou le devant, une option certes coûteuse mais moindre que bien des réparations. C’est une solution durable s’il en est, qui donnera à votre arme une nouvelle jeunesse pour chasser encore des décennies.