Un fusil sur mesure
Personnalisez son équilibre
Pour bien tirer avec un fusil, il faut bien sûr le mettre en conformation. Mais parfois cela ne suffit pas. Pourquoi ? Parce que si les mesures de l’arme sont adaptées à votre morphologie, son équilibre ne vous convient pas forcément. Voici comment vérifier que vous êtes bien confronté à un problème d’équilibre, et comment retomber sur vos pieds !
De toutes les choses qui influent sur notre façon de manipuler, d’épauler et de tirer avec une arme de chasse, aucune n’est plus importante que l’ajustement de la crosse et l’équilibre. Si la mise en conformation est une évidence pour la majorité d’entre nous, du chemin reste à parcourir pour que chacun prenne conscience de la complexité et de l’importance de l’équilibre, le plus souvent sous-estimée. Il est acquis que tout le monde n’a pas besoin ou ne recherche pas les mê mes longueurs de crosse, formes de poignée, pentes ou avantages, et un bon armurier peut d’ailleurs vous dire très vite si les dimensions de vo tre crosse sont correctes. Personne en revanche ne peut vous prescrire un équilibre parfait, tout simplement parce qu’il s’agit d’une donnée personnelle et subjective. Vous êtes le seul qui soit en mesure de juger quelle est la dynamique ou la sensation qui vous convient. On le sait, une même arme est souvent appréciée différemment selon les individus.
A la loterie
Surtout, si votre sensation est bonne, considérez- vous trois fois béni et n’allez pas chercher plus loin ! Si en revanche vous trouvez fréquemment la dynamique des autres armes préférable à la vôtre, selon toute vraisemblance, de légères modifications sont à envisager. Dans le cas d’une arme faite sur mesure – luxe que malheureusement bien peu d’entre nous peuvent s’offrir –, son équilibre et le ressenti du futur propriétaire sont vérifiés et ajustés en cours de fabrication, certainement pas une fois l’arme terminée et livrée. Selon la même logique, il n’y a aucune raison qu’un fusil de série soit miraculeusement équilibré à sa sortie de l’usine, du moins équilibré exactement selon les goûts et besoins de son acheteur, sauf « par accident ». D’ailleurs, des armes identiques sorties ensemble des chaînes de production peuvent, du fait de la plus ou moins grande densité de leur bois et de sa répartition, offrir un équilibre différent. La bon ne nouvelle, c’est qu’il est toujours temps de modifier ultérieurement l’équilibre de son arme. Au préalable, vous aurez bien sûr évalué cet équilibre. Nous vous invitons à vous reporter à l’article que nous avons consacré à cet exercice dans un numéro précédent ( Armes de Chasse n° 47, 4e trimestre 2012). Rappelons simplement que deux données doivent être évaluées, le point d’équilibre et le moment d’inertie, et cela de façon combinée. Autrement dit, la sensation d’équilibre résulte d’une combinaison de
la masse de l’arme et de la façon dont celle-ci est répartie, la masse seule n’étant pas suffisante pour une juste évaluation.
Trop simple, trop beau
Vous avez forcément entendu parler de quelques moyens simples couramment employés pour modifier l’équilibre d’une arme. Si le fusil est un semi- automatique, on peut par exemple remplacer le bouchon du magasin en plastique par un autre en acier ou en laiton. Sur un superposé, des chokes longs peuvent être ajoutés, qui lesteront l’arme d’une vingtaine de grammes vers l’avant. Ce sont là des remèdes simples, trop simples même. Ils restent à mes yeux des palliatifs, non des solutions durables. Outre le fait qu’un ajout de poids à l’avant soit peu satisfaisant d’un point de vue esthétique, il est toujours préférable de privilégier une répartition du poids sur toute la longueur du canon. De la même façon, la pratique consistant à ôter la bande intermédiaire sous la longuesse de certains superposés permet certes de diminuer le poids global du canon et donc de l’arme, mais revient à ajouter du poids au plus mauvais endroit : au bout des canons. Pour compenser ce déséquilibre, certains ajouteront à raison du poids dans la crosse. Mais voyons plutôt du côté des solutions à même de respecter l’harmonie esthétique et physique de l’arme. Pour les armes de chasse classiques, la clé est d’alléger la crosse, en l’évidant, plutôt que d’ajouter du poids à l’autre extrémité. Pour cela, il faut au préalable avoir situé et mesuré le point d’équilibre. Certains utilisent un point d’appui en forme de triangle ( un morceau de bois est serré dans un étau et l’arme placée sur sa pointe cassée), ce qui fonctionne assez bien. Je préfère pour ma part la méthode employée par les An - glais, après tout, ils ont inventé le fu sil de chasse moderne, je suis enclin à leur faire confiance ! Ladite méthode consiste à suspendre l’arme dans une boucle de ficelle. Evidemment, cette dernière doit être suffisamment solide pour supporter le fusil, mais également assez mince pour permettre une mesure précise. Lorsque vous avez trouvé la ficelle adéquate, nouez-la en une boucle de 15 à 20 cm, en attachant une extré-
mité à un crochet, que vous aurez fixé sur un support solide (un cadre de porte ou une poutrelle de plafond par exemple). Faites alors glisser le fusil dans la boucle et déplacez-le vers l’avant ou vers l’arrière jusqu’à ce qu’il se positionne avec les canons parfaitement à niveau : l’emplacement de la ficelle constitue le point d’équilibre. Collez sur le côté d’un canon un morceau de ruban adhésif afin d’y marquer le point d’équilibre d’un trait de crayon. Certains fabricants préfèrent mener l’opération arme chargée, mais il a été constaté que les cartouches ne font guère de différence – sauf dans les cas rares où le point d’équilibre se situe radicalement vers l’avant ou l’arrière du centre du fusil –, et on a connu méthode plus sûre ! Que la bascule soit ouverte ou fermée ne fait pas de différence, mais la se - conde option permet une mesure plus précise.
Prendre un bon départ
Voilà notre point d’équilibre trouvé, il nous faut maintenant le mesurer. Mais à partir d’où ? Un mythe bien ancré veut que l’équilibre soit exprimé par rapport au centre de l’axe de la charnière. Seulement, d’une arme à l’autre, la mesure ne sera pas la même car les fabricants construisent des plats (tables) de bascule de différentes longueurs. La mesure à partir de la queue de détente avant est tout aussi trompeuse, les positions des détentes variant. Le seul point de mesure toujours fiable, et celui que les grands armuriers utilisent, est la face de la bascule (les tonnerres) : elle est à peu près identique sur tous les fusils, c’est le seul endroit à présenter une référence constante. Mesurez donc la distance entre votre point marqué et la face de la bascule, c’est cette dimension que vous allez donner à l’artisan à qui vous confierez le travail. A ceux qui possèdent plusieurs armes, je conseille toujours de consigner le point d’équilibre de chacune et de noter celle avec laquelle ils tirent particulièrement bien au balltrap ou celle avec laquelle ils aiment aller chasser. De ces données émergera la mesure d’équilibre que chacun préfère, ou plutôt une gamme de points d’équilibre individuels selon les usages. Passons à la personnalisation de l’équilibre à proprement parler. Attention, en vous engageant dans cette opération, soyez prêt à enten-
dre les taquineries de vos amis qui prétendront que ce n’est pas l’arme mais le tireur qui doit être amélioré. Répondez- leur qu’il n’est pas de champion qui n’ait passé de nombreuses heures à personnaliser son arme et reprenez là où vous en étiez. Deux cas de figure s’offrent à vous, soit votre fusil est déséquilibré vers l’avant – pour simplifier, on dit que ses canons sont trop lourds –, soit il est déséquilibré vers l’arrière – on dit alors que sa crosse est trop lourde. Le premier cas est peu fréquent, il se présente avec des fusils à canons longs et à crosse en noyer peu veiné et donc peu dense. La solution consiste à ajouter du poids à l’arrière de la crosse. Une feuille de plomb roulée autour d’une gros vis à bois, elle-même fixée au coeur de la crosse dans une pièce de noyer ajoutée peut souvent suffire, en passant par quelques tâtonnements, du plomb ôté ou ajouté jusqu’à trouver la bonne mesure. Le plomb, surtout en feuille, peut se couper aisément avec des ciseaux. Le déséquilibre vers l’arrière se rencontre plus fréquemment, lorsque les canons pointent vers le ciel de façon exagérée. Votre tâche débute par la mise en place de quelques bandes de plomb sur la face inférieure des canons, juste devant la longuesse. Vous pouvez utiliser les bandes adhésives dont se servent les joueurs de tennis pour équilibrer leur raquette ou les golfeurs pour leurs clubs. Certains fabricants proposent ces masses sous forme de clips adhésifs ou non. Quelques grammes feront l’affaire pour commencer. Ensuite, en vertu du principe selon lequel l’équilibre ne peut être déterminé par un essai statique, mais par la quantité d’énergie exigée du tireur dans l’utilisation active de l’arme, passez un après-
midi à casser des plateaux et à expérimenter, en ajoutant ou en soustrayant du poids. Vous finirez par trouver le point magique : au-delà (davantage de poids à l’avant), votre swing sera ralenti, en deçà (moins de poids), il deviendra trop vif et mal contrôlé. Ne touchez plus à rien, vous tenez la meilleure formule. Il est temps d’identifier le point d’équilibre exact par une nouvelle séance de balançoire : suspendez le fusil dans votre ficelle nouée en boucle, repérez et marquez le point.
Sans risque, pas sans effet
Votre armurier ôtera le poids du canon, ainsi que la plaque de couche, et percera un trou ou deux à l’arrière de la crosse avec un foret à bois, ou bien élargira le trou du tirant pour enlever un peu de bois et donc du poids. Il vérifiera régulièrement la modification de l’équilibre, réinstallera la plaque de couche, jusqu’à ce votre arme s’équilibre au point que vous avez marqué. A moins de devoir lui retirer des centaines de grammes, une crosse ne sera pas fragilisée par un élargissement du trou de tirant. Certains fabricants évident d’ailleurs considérablement leurs crosses tandis que d’autres les laissent quasi pleines. Il n’y a pas de règle en la matière mais on observe toutefois que nombre d’armes industrielles modernes sortent d’usine avec des crosses lourdes. Un de mes amis armuriers réalisant souvent ce genre d’interventions recommande de percer deux ou trois trous peu profonds plutôt qu’un seul plus important. En forant un trou assez profondément, explique-t-il, le poids sera réduit, mais l’équilibre sera moins affecté qu’avec deux trous larges mais moins profonds percés à l’extrémité de la crosse. Vous ne devez pas oublier que c’est l’équilibre que vous recherchez et non l’allègement de votre arme. Cette technique est utilisée par de nombreux chasseurs et tireurs depuis des années, avec succès et sans dommages pour leur matériel. Pour vous en convaincre, observez d’un peu plus près la crosse de fusils à platines, si finement équilibrés et dépourvus de plaque de couche. Vous y verrez souvent, à l’arrière, deux traces circulaires habilement camouflées par un quadrillage soigné : des bouchons esthétiques venus masquer des trous d’équilibrage.